L'invention de l'estuaire | Inoubliables et sans nom | Bacs de Loire | Pas un tombeau | Le retour au marais | Cœur d'estuaire
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tous textes : © Bernard Bretonnière
L'invention de l'estuaire
extrait de la table ronde Écritures itinérantes
et résidentielles,
manifestation "L'invention de l'estuaire",
Couëron, association Estuarium, juin 2001.
Textes parus dans Æsturia n° 3.
Mon père est originaire de Saint-Étienne-de-Montluc et je crois que je ne l'ai jamais entendu prononcer le mot "estuaire" ; "la Loire", oui, ou "l'eau", ou "le fleuve", mais "l'estuaire", non, c'est un mot de géographe. Un jour, je me suis dit qu'il fallait peut-être que j'aille voir la Loire de plus près, parce que je n'y allais pas naturellement ; eh bien, j'ai eu beaucoup de mal à trouver la Loire : il y avait tellement de barbelés, de marais, de prés inaccessibles que je ne voyais jamais la Loire que de loin, au détour d'un virage. Dans cette partie-ci, entre Nantes et Saint-Nazaire, la Loire ne se donne guère, elle ne suit pas la route et on ne la suit pas, ce n'est pas comme quand on va d'Angers à Blois, tous ces bords de Loire-là où la route a été construite le long du fleuve pour qu'on le voie comme un spectacle. Ici, ce n'est pas du tout cela, et donc l'estuaire est nuancé, secret, pas très réel, flou, c'est comme cela que je le vois.
Les vasières, les bords de l'estuaire sont presque partout impossibles d'accès et je ne vois jamais clairement la différence que l'on peut faire, la plupart du temps, entre le marais et la Loire, je ne vois pas la limite... En fait, l'estuaire, c'est quoi ? C'est de la Loire, plus du marais, plus, justement, ces endroits où l'on ne sait pas exactement où est le fleuve. D'ailleurs, je me suis trompé, tout à l'heure, quand je disais que j'entendais ce mot dans la bouche de mon père, non, je crois qu'on dit plutôt, par ici, "la rivière". À Cordemais, par exemple, il me semble que les gens disent "la rivière" en parlant de la Loire et, sur les vieilles cartes, j'ai vu écrit "la rivière de Loire", ce n'est pas écrit "fleuve". Dans un texte de Patrick Deville, il y a quelque chose qui me plaît énormément, j'ai trouvé cela superbe : un enfant est assis au bord de l'eau et sa maman lui explique (si je ne me trompe pas) qu'à l'endroit où il se trouve, il a un pied dans la Loire et un pied dans la mer. Oui, cela est superbe, même si personne, sans doute, ne sait très précisément où cette limite se trouve.
(...)
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Inoubliables et sans nom
extrait d'un manuscrit inédit dans sa nouvelle version
On n'est pas très loin de minuit, j'aborde cette ville au bord de l'estuaire quand il croise ma route sur son vélomoteur, un haveneau ficelé à son cadre, zigzaguant dans la lumière des phares vers un lacis de rues étroites. Sa maison est au bout, il est plein de fatigue, l'assiette de boucauds, ce sera pour demain, la fête.
***
Dans mon pays d'estuaire, c'est dimanche au bord de l'eau, l'heure des petites retrouvailles sur le banc. Elles disent les ménages, les maris, les enfants. C'est du souci tout ça, mais tantôt, après la vaisselle, il fait soleil et la vie n'est plus lourde. Alors, parce qu'elle est allée voir le rebouteux qui a su guérir son dernier : "Les méningites, ça vient de quoi ?, ça vient des vers, faut pas rêver."
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Bacs de Loire, sujet imposé
extraits d'un poème inédit, écrit
en écho à quelques photographies de Wilfried Guyot
- Nouvelle version mise en ligne le 5 novembre 2002 -
Dans l'obscurité, l'autre rive apparaît Dans Loire il y a lo (...) |
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Pas un tombeau,
suites de proses rapides pour dire un père
extraits d'un manuscrit inédit à paraître
prochainement
(le dé bleu éditeur)
Mon père enfant de l'estuaire. (...) |
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Le retour au marais
extrait d'une nouvelle parue dans "Désirs d'estuaire"
(Estuarium et Éditions Siloë, 1997)
Entre les arbres scintillent les feux de la centrale de Cordemais. Je fais le tour complet de l'église, roulant au pas. L'enseigne de l'alimentation est toujours à sa place, mais la poignée de la porte, à demi arrachée, semble indiquer qu'elle a fermé. Les enfants ont grandi, sans doute vivent-ils ailleurs aujourd'hui, dans des villes ou dans des banlieues. Les adultes ont dû oublier, certains sont même morts, on ne tient plus le compte des enterrements en quinze ans. Avec un peu de chance, le retour du père dans une autre maison et un autre village était passé inaperçu. Une vieille femme en pantoufles, seule devant la boutique de cadeaux, me suit des yeux tel un suspect. Au port, je braque mes phares sur l'eau, ils éclairent quelques bateaux de plaisance. Les derniers clients attablés derrière les vitres du restaurant tendent le cou vers cette voiture à l'immatriculation lointaine dont le conducteur laisse ronronner le moteur sans se décider à mettre pied à terre. Je n'irai pas au point de vue, lieu de mémorables pique-niques, je veux encore remonter le fleuve, sillonner le marais. Au delà du Bas-Venet, à l'entrée d'un pré dont la barrière est renversée sur l'herbe, gît une vache rousse. Ses yeux sont grand ouverts, je les fixe, elle est morte. Il fait indiscutablement nuit, à présent. Je commence à me perdre, les routes ne cessent de sinuer, insidieuses, je reviens malgré moi sur mes pas, m'engage dans des chemins qui aboutissent à des prés, je fais plusieurs fois demi-tour. Les lumières de la centrale, surmontée d'un large halo laiteux, me narguent, à droite puis à gauche, devant puis derrière... Longtemps, je vais en rond quand je suis résolu à pousser jusqu'à Couëron et peut-être plus loin. Je m'embrouille, je crois prendre la direction de la Loire, mais je viens de couper la route du Milieu et commence à gravir le coteau. Je me maudis, redescends vers le dédale des étiers, des douves, des courseaux, des ponts, des culs-de-sac ; ici, l'estuaire est lieu de perdition, où la mer se perd dans le fleuve et le fleuve dans la mer. J'ai aimé, sur des rives plus accessibles, à Nantes même, observer l'eau brassée en tous sens, ne sachant plus à certains moments si elle courait vers l'aval, vers l'amont, ou si elle ne tournait plus qu'en rond pour faire la nique au temps. Des heures durant, j'ai regardé ma vie perdre pied dans le bouillon des eaux. Les événements l'ont toujours emportée avant que j'en décide. "Rêver, c'est vouloir tout et se préparer à n'avoir rien... La beauté décourage le désir..." Ma tête est un cahier dans lequel je continue à écrire sans revenir jamais sur les pages anciennes.
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Cœur d'estuaire et autres textes écrits à Cordemais
extraits, (Estuarium & Ponctuation, 2000)
- Souvent, je commence une aquarelle avec de grosses brosses que je fabrique moi-même. Je crois qu'il en existe de toutes faites avec de la corde, mais moi, je coupe des rouches1 dans le marais, je les fais sécher, je les effiloche à ma façon avant de les ficeler à un bon manche de buis. C'est parfait pour les fonds. Bien sûr, j'ai d'autres pinceaux, que j'achète, de très petits, pointus, les meilleurs sont en poils de martre, de petit-gris, de blaireau, de putois, de chameau, d'oreille de bœuf, c'est marrant, non ? Pour les traits fins, et pour gratter, je taille de petits roseaux de Loire, comme des plumes, parce qu'il faut gratter le papier, l'aquarelle n'est pas une caresse, il faut donner du grain, des effets de texture, de matière. Peindre, c'est toujours creuser, creuser sans cesse, labourer, de plus en plus profond. Toute une cuisine qu'on s'invente avec ce qu'on a sous la main et dans la tête... Mes aquarelles ne sont pas seulement trempées dans l'eau des marais, elles sèchent au vent de l'estuaire : quand le temps le permet, je les accroche dehors. Si je vivais ailleurs, je ne ferais pas la même peinture...
(...)
- Et la bignée, c'est comment ?
- D'abord, on allait le soir, en pantoufles pour ne pas faire de bruit,
ramasser de gros vers de terre, les béguins1, dans les plates-bandes
du jardinque nous avions pris le soin d'arroser ; j'étais
chargé de tenir la lampe électrique. On les gardait dans
une boîte de conserve jusqu'au lendemain, et là, pas besoin
d'hameçon : il suffit de prendre un fil fin et, avec une
longue aiguille, d'enfiler les béguins dans toute leur longueur,
d'un bout à l'autre. Quand on en a deux ou trois mètres,
on roule en boule le fil gainé de vers, c'est gros comme un poing,
on fait un bon nœud, on l'accroche au bout de n'importe quel bâton
et on trempe. Dès qu'on sent une anguille mordre, on soulève
et elle retombe là où vous la lancez. Quand on allait à pied
sur le bord des douves, on ouvrait un vieux parapluie qu'on renversait
sur l'herbe, il fallait viser juste, comme avec les grenouilles !
Mais quand on prenait la plate du grand-père, à la marée
montante, on ramait jusqu'à aller s'embosser dans le bras de Cordemais
et là, on les faisait directement tomber au fond. Fallait voir : ça
nous grouillait entre les guibolles...
(...)
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