extraits d'un article de B. Larsson
paru dans le supplément au journal
'Le Monde' du vendredi 7 mars 2003
Textes de Björn Larsson à découvrir
sur ce site :
- Le port maritime et le
terrien (extraits d'un article paru dans 'Le Monde' du 7 mars 2003
[…]
Seul, semble-t-il, le port maritime attire toujours les oisifs qui rêvent
de départ, même si l'écrasante majorité de ceux
qui vont jusqu'au bout du môle rebroussent chemin et restent à quai
sans jamais partir.
Ils n'ont pas compris que l'âme du port est de partir une fois arrivé,
et d'arriver une fois parti. Ils n'ont pas compris que le propre du port
est d'être un lieu de passage, qu'il n'y a rien de si triste qu'une
vieille carcasse qui pleure de la rouille dans un coin perdu du port et
qui ne partira plus jamais.
[…]
Le marin qui reste au large sous l'horizon est un être de rêve
et de séduction, il est celui qui a eu le courage de couper les
amarres, de n'être regretté par personne lorsqu'il part, et
de n'être attendu par personne lorsqu'il arrive.
Mais quand le même être humain descend de son bateau ou pire
encore quand il s'incruste et réclame le droit de vivre la vie inflexible
et terne des terriens, alors il est traité, à l'instar de
tous les errants qui s'arrêtent, comme une menace par ceux qui défendent
leur petit territoire, ceux qui aiment plus leur animal domestique que
l'étranger vagabond de passage, nécessiteux ou pas, demandeur
d'asile ou pas.
Pas étonnant alors que le port soit vécu de manière
radicalement différente par le marin et par le terrien. Le port
est un abri dit-on. D'accord, mais le terrien comprend-il vraiment ce que
cela signifie ? Si on vient de la mer, le port peut être un
abri, mais uniquement une fois qu'on y est.
[…]
Le terrien comprend-il l'anxiété que fait naître l'incertitude
lorsqu'il faut trouver, sous peine de mort sans doute, une ouverture de
vingt mètres de large dans le noir complet, guidé seulement
des deux feux ?
[…]
Peut-il comprendre que le lendemain de notre arrivée, à dix
heures du matin, un navigateur en solitaire allemand, arrivé une
heure après nous, ouvre une bouteille de champagne, tellement il était
content d'être en vie ?
Le terrien peut-il comprendre ce que signifie alors le mot " abri ", une
fois qu'on est bien rentré, bien amarré, bien rangé et
bien abreuvé d'un malt bien mérité, en écoutant
le vent hurler dans le gréement ? Je ne crois pas.
[…]
© Björn Larsson
Textes de Björn Larsson à découvrir
sur ce site :
- Le port maritime et le
terrien (extraits d'un article paru dans 'Le Monde' du 7 mars 2003