Lettres d'estuaires
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Icône du Taureau
21 avril - 20 mai

© Lucien Arlaud




L'horizon manque aux primes heures et la lune s'enfuit. La brume au lit des joncs, laitance du remont. Le fleuve emplit, le soleil va. Trois calupes d'amont au lan pêchent l'alose. De l'île Bouchaud –fin bec troussé, pupilles noires –fuse une barge rousse. Coup de fusil ! Qui brame dans la roselière ? C'est le butor étoilé sous le lacis des scirpes. Son râle file comme le pouls mourant du flot, résine rêche, brome. 

Le plain des eaux présage la rupture. Les pêcheurs virent le tramail. Dans le ventre des muges ils plongent le tranchoir. Alentour flotte le corail des fiels que picorent les mouettes. Les marins dans l'anse abattent en carène un cotre. La caliorne grince. Bordez ! Bordez encore ! Qui mugit sur la rivière ? C'est la corne de brume d'un cargo, le beugle du taureau veillant le dédale saint des îles, saumure et bois flottés. 

La renverse interroge l'estuaire, clameur du jour en son tréfonds ! Les pêcheurs gagnent l'estran, dans les corbeilles les poissons gobent la mort. Le cargo avalant déborde l'Île Verte, enserrant de ses cornes le disque du soleil. Dans la saulaie claque le bécot d'une bécassine. Qui geint dans l'aubarède ? C'est le rhombe sacré d'un ermite, un palet de cuivre grivelé au bout d'un fouet de peau.

Un rai de feu strie la rivière. La bécassine se coule dans la cépée "tikke-tikke-tikke". La nuée dérive, chanvre roui sur le gruau des eaux. Emergent Patiras et sa bretèche Trompeloup, la nappe au loin fidèle à la miellée des bancs, la brouée du Médoc. La Gironde plante ses cornes dans le flanc de la mer. Ses veines sont gonflées, l'écume à fleur de peau. Qui vrombit sur les bancs ? C'est l'arroi du Ponant qui féconde la terre. 

Fronde celte, tendons et crins sur le glacis des vases. Tumulte sur les passions ! Tenaces et douze sont les taureaux qui portent la mer de bronze et l'eau lustrale. La mer recule ! La mer recule ! 
 
 


© Catherine Lippinois

La chair des mots

Alose Poisson de mer qui remonte l'estuaire au printemps.
Aubarède Roselière que couvrent les vives-eaux.
Barge rousse Echassier des marais côtiers.
Border Tendre un cordage.
Butor étoilé Cet oiseau de la famille du héron niche dans la roselière. 
Caliorne Poulie triple de palan. Pour entretenir la coque de leur bateau, les marins l'abattent en carène, c'est-à-dire le couchent sur le flanc au moyen d'un palan frappé sur le mât.
Calupe Petite chaloupe des gens d'estuaire.
Lan Espace de rivière où le pêcheur laisse dériver son filet.
Muge ou mule Poisson d'estuaire. 
Tramail Long filet de pêche à plusieurs nappes.

texte de Christian Lippinois ©
dessin de Lucien Arlaud ©
tapisserie de Catherine Lippinois ©

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© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde