De Christan Lippinois
Le
fleuve est si proche de notre maison qu'il entre dans la cuisine aux jours
de grande marée. Grand-mère n'a jamais pu s'y faire. Maman
non plus qui doit ôter la vase du carrelage. Moi je m'émerveille.
Assis sur les marches, j'observe l'eau monter. Pourquoi m'affligerais-je ?
Pour une fois le jardin de Grand-père sera bien arrosé :
chez nous l'eau n'est pas très salée, c'est encore la rivière.
Les framboisiers ne risquent rien, je le sais. Ils apprécient le
limon du fleuve, à preuve qu'ils montent plus hauts que moi. A la
saison j'en tire chaque soir une bolée que je partage avec ma mère.
Humm ! En hiver Grand-père leur met du fumier de mouton et
les rabat.
Grand-mère quant à elle ne jure que par les fleurs. C'est
sa passion. En été la maison disparaît sous les massifs
d'hortensias, les rosiers grimpent jusqu'à ma chambre. Moi je préfère
les fleurs sauvages : surtout les iris qui s'ouvrent en mai dans les
palus et les jonquilles naines qui tapissent la vigne en mars. Quand j'étais écolier
au village j'en portais chaque matin un bouquet à la maîtresse.
Et le soir au retour, j'en cueillais pour Maman.
Notre maison n'est pas bien grande mais la prairie s'étend jusqu'au fleuve. Grand-père y échoue son canot au plain d'eau, une roselière la prolonge jusqu'au banc où nichent les tadornes. Près du chemin s'élève la pêcherie : on y range le filet, les avirons, les bourgnes. Les villageois y descendent, qui pour une moque de crevettes, qui pour l'alose ou la lamproie. C'est ma mère qui apprête le bouillon des crevettes. Lorsqu'elle y jette l'anis étoilé, la pêcherie s'emplit d'une odeur de bonbon.
C'est là notre domaine au bord du fleuve, sans compter la remise
où s'entassent toutes sortes de vieilleries. J'en fais mes délices
les jours de pluie. Nous y rangeons le bois : la rivière en
apporte tant et plus ! Nous tirons au sec des troncs entiers que nous
scions. Les soirs d'hiver, quand la rivière fait la méchante,
comme on est bien au coin du feu ! Grand-mère fait sauter des
crêpes, Grand-père ouvre une bouteille de cidre. J'éteins
la télévision pour qu'il raconte des histoires. Maman monte
dans sa chambre, je crois qu'elle est agacée.
Itinéraire de découverte
(Bourg) | lecture à Artigues
Deux estuaires, deux romans | 20
fiches de lecture pour les collégiens
La Carmagnole | L'appel
du fleuve | Le mythe identitaire
C. Lippinois à St-Ciers-sur-Gironde | rencontre
S. Werle - C. Lippinois