Lettres d'estuaires
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La palombe et le héron (conte)

Derrière chez moi, il y a, trois petits bois disposés sur un axe Nord Sud. Dans celui du milieu il y avait une palombière. Tous les ans, à l'automne, les palombes passaient. Elles arrivaient très haut devant le bois du Nord, descendaient vers le bois du milieu et se posaient sur le bois du Sud pour reprendre des forces. Quand les chasseurs étaient à la palombière, ils en tiraient quelques unes au passage. Il y a quelques temps, de nouveaux chasseurs de plein champ arrivèrent dans le secteur. Ils se placèrent à la lisière du bois du Nord et se mirent à tirer sur les palombes alors qu'elles étaient hors de portée. Inutile de vous dire qu'elles ne descendirent pas vers le bois du Sud. Au contraire elles montèrent encore plus haut et on n'en revit plus jamais à cet endroit. Vous allez savoir pourquoi.

Après avoir repris de l'altitude, les palombes traversèrent la Dordogne. Comme il fallait bien qu'elles se reposent, elles trouvèrent refuge dans les grands arbres qui bordent la vieille nationale 10, au dessus de l'étang de Saint-Vincent-de-Paul. C'est un endroit protégé, sans chasseurs. Certaines descendirent au bord de l'étang pour se désaltérer, à la grande surprise d'Arthur, un vieux héron familier des lieux. Il fréquentait ce plan d'eau depuis son jeune âge : pas de chasseurs en raison de la proximité des maisons du village, et bonne chère de grenouilles et menu fretin. Moins difficile que son lointain cousin dont parle La Fontaine, Arthur vivait heureux entre la rivière et son lac. Ce soir là, c'était bien la première fois qu'il voyait autant de palombes dans son petit univers. Il ne pu s'empêcher de leur demander la raison de cette escale inopinée. Paloma, la meneuse du groupe, lui expliqua ce que je viens de vous raconter.
Hé ! Pauvre amie ! - lui dit Arthur - pourquoi continuer à suivre ce chemin qui vous cause tant de malheurs ? Nous autres hérons n'avons pas ces problèmes : il n'y a pas de chasseurs sur la rivière car ils ne pourraient pas récupérer le gibier s'il tombait à l'eau.
Peut être bien - répondit Paloma - mais nous n'avons appris que cette route Nord-Sud pour aller passer l'hiver au chaud. Nous traversons des rivières, mais nous ne savons pas trop où elles mènent.
Qu'à cela ne tienne, proposa Arthur. Nous sommes de nombreux hérons tout le long des rivières et canaux et nous pourrons vous guider. Ce qui fut fait. Arthur accompagna Paloma et son équipe jusqu'au Bec d'Ambès, en leur faisant éviter les tonnes à canards du marais de Montferrand. Là, un sien cousin prit le relais jusqu'à Bordeaux, puis un autre jusqu'à Langoiran et ainsi de suite. Tantôt sur la Garonne, tantôt sur le Canal des Deux Mers, avec des "pauses maïs" entre les deux, nos palombes gagnèrent les Pyrénées, guidées par les hérons. Il suffisait à Paloma de dire à un héron : « T'as l'bonjour d'Arthur » pour trouver un nouveau guide. Depuis ce jour, les palombes de l'escadrille de Paloma ne remplissent plus les besaces des chasseurs d'Aquitaine. Je tiens ces informations d'Arthur et de son cousin de Fontet-sur-Garonne.

© Michel Manem, novembre 2003

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde