Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - avril 1992

par Jean-Bernard Forie
Illustrations de Michel Vignau


Lundi 13 avril 1992

Pêche et navigation côtières :
côtes charentaise, landaise, basque : peu nuageux. Vent de nord à nord-ouest, 3 à 4 Beaufort sur côte charentaise. Mer peu agitée à agitée. Houle voisine de 1,5 à 2 mètres. Visibilité : 5 à 10 milles.

A huit heures je me lève et, après avoir téléphoné à Bordeaux, je largue les amarres. Me voilà déjà paré des digues et du clapot sec qui les frange. Hélas le vent est toujours de noroît et je bute de nouveau dans le clapot, ce qui me ralentit énormément. Il me paraît judicieux de traverser l'estuaire pour chercher l'abri de la berge charentaise. Me voici au milieu du chenal qu'il faut traverser au plus vite. Je redouble d'efforts. L'avant enfourne, l'arrière suinte toujours autant, et je ne peux que pagayer face à la lame pour éviter un roulis désordonné qui rend impossible toute progression correcte. Au loin, deux voiliers courent contre le vent, vifs et rapides. Le contraste est total avec moi. Mille ans de rame et d'arriération nautique nous séparent. Je suis d'un temps d'avant la voile et le gouvernail, d'avant les hauts bords, les coques lestées et pontées !

Me voici très proche de l'île de Trompeloup, qui émerge des flots, et dont je tente de parer la pointe, composée de longues lames de terre grise et dénudée. Glèbe stérile dont le soleil argente les contours, fange lunaire pétrifiée dans la salure des eaux. Ici, seuls résonnent les cris des oiseaux de mer. Les installations de Pauillac, dans l'air léger, semblent très proches, ainsi que la centrale nucléaire sur l'autre rive, et pourtant, dans les parages de cet îlot désert, on croit se trouver au bord du monde.

Devant moi émerge le banc de Saint-Louis. Le courant m'y entraîne et, dans un ressac minuscule, je m'y échoue. Mais le fond plat de l'Espérance ne peut jamais s'échouer longtemps sur la vase, il glisse plutôt sur le fond, alors que j'utilise ma pagaie comme une perche. Je franchis ensuite la passe de Saintonge, et cherche à faire escale au port des Portes Neuves. Trop tard ! La marée s'inverse et m'entraîne.

Je décide alors d'explorer le chenal de Fresnau, en amont de la centrale.

FresnauFresnau

Je n'ai pas déplié ma carte, je préfère puiser dans mes souvenirs, car je l'ai approché une fois par la route, il y a six ans ! Je rase la rive, j'en interroge chaque inflexion…et enfin l'embouchure du chenal s'ouvre devant moi. Je remonte à l'intérieur des terres, et cette navigation prend un aspect agro-pastoral marqué. Ici, si on construit au bord de l'eau, ce n'est pas un port, mais une ferme. Tranquillement je progresse et j'atteins ainsi le fond du chenal. Surprise, un port ! Un bar, trois maisons, un slip de carénage et deux yoles de pêche tirant sur leurs amarres.

Je m'installe tranquillement dans un coin, je déjeune, et je dresse le mât sur lequel j'envergue la voile de jonque, légère comme une membrane de chauve-souris. Avec la voile au tiers en coton, je cabane selon l'antique méthode puis je me glisse dessous et passe, « chez moi », une très agréable soirée. Le flot se retire et l'Espérance se prélasse, telle une truie au poil sombre, sur son lit de boue humide.


Dimanche 12 avril | Mardi 14 avril


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
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