par Jean-Bernard Forie
Dimanche 4 juillet
Me voici vraiment à la fin du compte à rebours. Après une matinée passée à régler les derniers détails, je quitte enfin Libourne vers quatorze heures. Direction le port de Vitrezay par Galgon, Saint-Mariens, Cavignac, Saint-Savin-de-Blaye puis Saint-Ciers- sur-Gironde, en marge des axes routiers encombrés par les départs en vacances.
La mise à l’eau au port de Vitrezay, vers quinze heures trente, est encore une tâche harassante : il faut vider la voiture bourrée de matériel, tout débarquer sur le ponton réservé aux visiteurs, puis tout embarquer de nouveau sur le canot que, faute de place ailleurs, il a fallu mettre à couple d’une vedette en alu. Je dois, en plusieurs passages, enjamber son bastingage, puis contourner sa timonerie, avant de me pencher de l’autre bord pour affaler au fond de ma petite embarcation les brassées de matériel que je transporte. Tout cela m’épuise et prend un temps fou.
Au début de mes navigations en canot, il y a maintenant plus de dix ans, j’étais fier de savoir partir avec « rien », mais ce « rien » s’est alourdi au fil des années : matériel de sécurité, documents de navigation, vivres avec réchaud et gamelle, eau potable, vêtements de rechange, duvet, tout cet impedimenta étant réparti en divers sacs et bidons étanches. À cela il faut ajouter l’ancre avec sa chaîne, son câble, son orin et sa bouée, deux amarres, des avirons, un tangon, un seau, une éponge, une écope. Il ne faut pas oublier, enfin, les éléments essentiels du bateau : la dérive, le gouvernail avec sa barre, ainsi que deux mâts, deux livardes, deux voiles, et tout leur gréement.
Pendant tout ce temps, le vent monte à force quatre Beaufort et la chaleur reste accablante. En fond sonore, j’entends les ronflements des motos et autres tricycles pétaradants qui ont investi l’endroit pour une de ces « concentrations » dont les amateurs de « bikes » ont le secret, dans une atmosphère à la « Mad Max » que la moyenne d’âge des participants, relativement élevée, rend débonnaire. Tubulures chromées, longues mèches blanches flottant au vent et blousons de cuir cloutés : peut-être le rugissement des grosses cylindrées est-il un élixir de jouvence, après tout…
Le départ véritable est reporté à demain matin, à l’étale de marée haute. Je choisis de ne pas effectuer le premier départ de nuit, par prudence. La dette de sommeil accumulée ces derniers jours m’accable, alors je fais une sieste dans l’herbe à l’ombre d’un bosquet, tout au bord de l’estuaire, laissant le temps passer, les ombres s’allonger et la brise thermique épuiser sa force, lentement. J’entre ainsi progressivement dans le rythme de cette randonnée nautique... Le mot « randonnée » est-il approprié ? Pourquoi est-ce que chaque année je ressens le même besoin de revenir, seul, et en canot creux, me plonger avec ferveur dans les mystères de cet estuaire immense ?
Pourquoi, oui, pourquoi ces navigations précaires dans cette bouche ouverte sur le golfe de Gascogne ? Il y a à cette question un foisonnement de réponses, plus tard je tenterai d’en faire la synthèse, mais pour l’instant : naviguons !
Après une longue promenade sur le rivage, je retourne à bord. La guinguette du port est fermée, endommagée par la tempête Xynthia de l’hiver dernier, comme l’indique un panneau cloué sur sa porte. Je m’installe pour ma première nuit au fond du canot. Marée basse vers trois heures du matin. Le canot est posé sur la vase en pente, ses amarres tendues à bloc. Silence et immobilité, même les moustiques renoncent.
Samedi 3 juillet | Lundi 5 juillet