Les canards s'en lavent les pattes

En canot sur la Gironde :
 
Croisière 2008 à bord du canot Plénitude

par Jean-Bernard Forie


Dimanche 6 juillet

Après une nuit parfaitement calme, c’est le retour du flot plus que le lever du soleil qui me tire de mon sommeil. La mise en route est lente… À 8 heures du matin, je lève l’ancre et commence à tirer sur les avirons. Glissant sur les hauts fonds déjà recouverts à cette heure j’accoste à la petite pointe sableuse placée juste à l’entrée de l’anse sauvage où j’ai décidé de faire une longue escale. La proximité des grues du terminal n’enlève à mes yeux pas grand-chose à la beauté des lieux. Ici, c’est en quelque sorte le bout du monde.

Vivre d’anse et d’eau fraîche

Je débarque une partie de mon matériel et je le mets à l’abri du soleil sous un abri précaire que j’édifie avec des bois flottés et des avirons amarrés entre eux. Je déploie sur ceux-ci ma petite voile d’artimon. Assis à l’ombre, j’écoute la petite musique des grains de sable emportés par le vent qui viennent tambouriner sur la toile. C’est le milieu du jour, la marée déjà se retire laissant Plénitude échoué à proximité du bivouac.

Marée basse au Verdon Marée basse au Verdon

Je grignote quelque chose, absorbé par ce paysage de sable, de vent et d’eau. Les heures s’étirent…

Il ne se passe rien, et c’est tant mieux.

Je fais lentement à pied le tour de l’anse. Je recherche au fond de celle-ci les épaves des bateaux de pêche qui y ont été déposées. Depuis mon précédent passage il y a deux ans elles se sont considérablement dégradées, dans la succession des tempêtes, des grandes marées et des saisons. C’est normal au fond. C’est faussement que l’on croit qu’une épave est installée quelque part à titre décoratif, comme une statue au milieu d’un square. Ou alors c’est une statue biodégradable, qui a vocation à se désagréger lentement mais inexorablement.

Sur la berge, au sommet de l’estran, tout comme lors de mon précédent passage il y a deux ans, je trouve une multitude de bois flottés, certains dans un état très convenable. Pour divers travaux que j’ai prévu de réaliser chez moi, je les regroupe près de mon canot, à l’abri des grandes marées. Je prévois de venir récupérer ce petit butin à la fin de la randonnée.

Pendant que je travaille, je vois passer deux hommes, avec qui je discute un moment : des plaisanciers en escale à Port-Bloc qui se promènent. Ce sont les seuls êtres humains que je vois de toute la journée.

Le temps passe, l’après-midi s’avance et la marée revient. Je démonte mon petit bivouac à terre, dont l’emplacement est progressivement submergé. Mon bateau reprend vie et oscille dans le batillage près de la berge. Il faut raccourcir son mouillage.

Marée du soir 1 Marée du soir 1
Marée du soir 2
Marée du soir 2

Mais les eaux déjà reculent, le sable sèche de nouveau, et je reconstitue mon bivouac au même endroit sur l’estran sableux. Je prépare aussi le feu de camp du soir, en partant d’un fagot composé de petit bois très sec et de feuilles de papier, lui-même recouvert de petits rondins d’un diamètre supérieur, puis de grosses branches venant surplomber le tout. Le ciel se couvre. La météo, captée avec mon téléphone portable, annonce pour le lendemain l’arrivée de la pluie accompagnée de vent fort. Il se pourrait tout à fait que l’escale s’éternise.

Je craque l'allumette

Dans les dernières lueurs du crépuscule, je craque l’allumette. Les premières flammes mordent dans le bois et s’élèvent, chassant le froid de la nuit. Allongé sous la voile d’artimon qui me protège du vent, un sac bien calé sous la tête, je goûte la magie de cet instant. Autour de moi, l’estuaire et les marais qui le bordent sont autant de flaques d’ombre, surmontées d’un ciel clouté d’une infinité d’étoiles.

Le feu décroît et râle sur son lit de braises. Je le ranime d’une brassée de branchages glanés sur l’estran. La nuit s’écoule ainsi, à somnoler et à alimenter le feu, puis je le laisse s’éteindre et je m’endors à la chaleur de ses tisons mauves.


Samedi 5 juillet | Lundi 7 juillet


 

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde