Les canards s'en lavent les pattes

En canot sur la Gironde :
 
Croisière 2008 à bord du canot Plénitude

par Jean-Bernard Forie


Samedi 5 juillet

La préparation de cette randonnée a été cette fois-ci très compliquée à organiser et je n’arrive à Port-Maubert qu’en toute fin d’après-midi.

Le port est désert et je prépare minutieusement la mise à l’eau du canot. Je largue les amarres une fois tout le matériel en place, ma voiture bien garée et sa remorque cadenassée. Je descends l’étier à l’aviron puis à la voile. J’y retrouve le Lambin, une petite lasse de plaisance très mignonne, coque jaune, gréée d’une voile au tiers et d’un foc de même couleur. Je l’ai déjà rencontrée au cours d’un rassemblement de bateaux traditionnels. Le couple qui la manœuvre échange quelques mots avec moi, alors que nous régatons sans en avoir l’air.

Lasse Le Lambin Lasse Le Lambin

Puis, après un dernier salut de son équipage, elle fait demi-tour, choisissant de ne pas s’aventurer dans l’estuaire. Je dépasse les grandes perches qui balisent l’entrée de l’étier. Doucement bercé par la toute petite houle qui remonte l’estuaire, Plénitude met le cap sur la rive médocaine.

La lumière déclinante du jour, le doux bruissement du vent dans les roseaux, les clapotis de la coque fendant les vaguelettes qui m’accueillent à la sortie du chenal : après l’agitation fiévreuse des préparatifs et la tension du compte à rebours, tout cela m’apaise et me rassure. Le voyage commence et la suite sera belle, nécessairement.

Un premier bord contre le vent d’ouest m’amène dans les parages de Saint-Christoly-du-Médoc, puis, après avoir changé d’amure, je descends l’estuaire. La soirée s’étire en longueur, en langueur pourrait-on dire, car la brise reste faible et l’eau plate, avec un beau coucher de soleil.

Navigation de nuit

Quand tout se trouve plongé dans l’obscurité, le vent revient, le clapot se creuse et Plénitude le bien nommé commence à s’amuser sur l’eau.

J’adore ces moments de navigation nocturne quand, de l’obscurité, ne surgissent pour se guider sur l’eau  que de rares lumières : les balises vertes et rouges qui clignotent dans le grand chenal, l’éclairage public de lointaines agglomérations, les feux de position d’un rare navire. La lune argente les crêtes des vagues qui viennent à ma rencontre. À la barre de mon canot, à une heure très avancée de la nuit, je prends de grands moments de plaisir à naviguer ainsi. Le paysage familier de l’estuaire devient AUTRE, pas vraiment inquiétant, mais différent. En effet, la perception des distances est complètement modifiée par l’obscurité et surtout, si l’œil est désemparé, le paysage sonore dans lequel on navigue prend un relief surprenant : le claquement de la voile qui dévente alors que le vent refuse, le ronronnement des machines d’un grand navire, le chuintement du clapot que le courant de marée prend à rebrousse-poil, le sillage des bouées, le bref cri d’un oiseau de mer qui s’est attardé sur l’eau.

Ce long bord m’amène à proximité de Mortagne. L’idée me vient d’y faire escale. Pour se rapprocher de la côte, il faut naviguer vent arrière, allure risquée sur un canot gréé d’une voile sans bôme. Le roulis est fort et la voile ballonne désagréablement en ne procurant qu’une poussée instable. Il faudrait logiquement déborder le point d’écoute, mais mon tangon est un long bambou de plus de quatre mètres de long et je n’ai pas envie de jouer les Don Quichotte en bataillant dans l’obscurité pour engager la pointe de cet encombrant espar dans une cosse de point d’écoute oscillant de manière aléatoire dans le roulis. Ensuite, il faudrait caler l’autre extrémité du bambou à l’intérieur du canot, tout en gardant soigneusement le cap, la barre tenue entre les jambes !

Je pousse la barre et reborde l’écoute. Changement de programme. Nous filons vers l’anse du Conseiller, qui est en quelque sorte l’antichambre du vieux port du Verdon.

Les grues violemment illuminées du terminal à conteneurs du Verdon donnent l’impression que le but est tout proche. À côté, le clocher du village, lui aussi bien mis en lumière, accroît cette impression de proximité. Mais ce n’est qu’une gentille illusion : plus j’avance et plus le but semble reculer… Il est presque deux heures du matin quand je jette enfin l’ancre à une encablure de la rive, à peut-être un demi-mille de mon but. C’est la fin du jusant et il n’y a tout simplement, ici, plus assez d’eau pour naviguer à la voile avec la dérive descendue. Couvrir la distance restante entièrement à l’aviron à cette heure plus que tardive me semble relever de « l’acharnement thérapeutique ». Mangeons un morceau et dormons au fond du canot, demain sera un autre jour !


Présentations | Dimanche 6 juillet


 

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde