Lettres d'estuaires
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Conte du pêcheur de crabes

- le crabe ou le caviar -

J'n'osais vraiment pas l'approcher
De peur de me faire pincer,
Car il avait de grosses pattes
D'une couleur rouge écarlate
Et de son corps assez velu
Émergeaient deux yeux qu'on eût cru
D'ivoire et qui me fascinèrent !
J'hésitais à l'appeler "frère" !!
Lorsqu'auprès de lui apparut
Un "magma" très noir et grenu.
Qu'est ce là ? demandais-je au crabe
Çà ! monsieur ce n'est que la "rabe"
De l'esturgeon qui, au printemps,
Vient se vautrer dans le courant,
Rien que les œufs et la laitance
Qu'on paie fort cher pour faire bombance,
Des œufs que certains snobinards
Se targuent d'appeler... "caviar" !
Un plat pour les rupins en somme ?
Qu'on mange à la cuillère comme
On prend "pibales" au "hav'neau",
Retorqua le massif tourteau.
Pour moi, l'argent'rie peut faire faute !
Avec les doigts on me "dépiaute"...
Un' simple pinc' permet d'casser
Ma carapace et mes crochets...
Et j'offre alors chair généreuse,
Sans apprêt spécial, délicieuse.
Pour moi, pas besoin de salon
Où l'on parl' d' la révolution
D'octobre ! - "Vous voyez ma chère !
Sans les Russ's blancs - quelle misère !
Nous ignorerions ce trésor…

Oh ! oui, ce "caviar" vaut bien l'or
Englouti dans cet emprunt russe !
C'est bien meilleur que la "platusse" ,
Que la sole ou mêm' la lamproie !
Quant au tourteau, n'en parlons pas !
Son corps velu, ses grosses pinces
Ne lui donn'nt pas l'allure d'un prince.
Laissons çà au prolétariat
Qui préfère l'andouille au foie gras
Et le Petru blanc au sauternes !
Chacun son goût ! A la lanterne,
les aristos et dans la rue,
Le tout venant et ses vertus
Pour moi, je préfère le crabe
au caviar. Si bourgeois se frappent,
Disant : "Voyez ! il nous trahit !"
Je réponds que mes vrais amis
Ne sont pas ceux qui roul'nt carrosse
Mais les petits, tous ceux qui bossent
Pour bâtir un monde meilleur
Sans caviar, mais... riche de cœur !

© C. Bardeau

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