Les canards s'en lavent les pattes

En canot sur la Gironde :
 
Randonnée nautique à bord du canot Plénitude

par Jean-Bernard Forie


Mardi 16 juin

Un accueil aussi inattendu qu’agréable

Le retour du soleil amène de nouvelles troupes de visiteurs à Talmont, et les quais de l’estey redeviennent vite très animés. Pour ma part, je prépare mon petit déjeuner et range le canot quand arrive un jeune retraité qui réside à proximité. Descendu de son vélo, son casque encore sur la tête, il m’interroge sur mon bateau et la navigation que j’entreprends. J’apprends alors son nom, Jacques Graveaud, et, très simplement, il m’invite à prendre un café chez lui. Je me retrouve installé dans une ancienne écurie transformée en résidence secondaire, habitée par un artiste sculpteur, dessinateur, potier, mais aussi plaisancier confirmé, retraité hyperactif, un peu agriculteur aussi et hôte très attachant. Nous parlons, nous buvons (pas seulement du café) et nous crayonnons beaucoup sur son cahier de dessin, afin de matérialiser correctement nos pensées respectives. Il me retient à déjeuner, et cette hospitalité est bienvenue car nous n’avons pas encore fini de nous raconter nos histoires de plaisance et d’estuaire, puis nous nous séparons. Un rendez-vous le sollicite et pour moi c’est l’heure de la renverse de marée haute. Il m’accompagne sur le quai pour un dernier salut, alors que je largue les amarres et me dégage à la godille. Un souffle portant qui a contourné le village pour descendre par l’étier m’écarte de la rive. Le courant m’emporte, en attendant plus de vent.

Une grosse vedette à passagers défile entre la côte et moi, son patron débitant par haut-parleur sa présentation du site de Talmont, une infinité de fois déjà racontée, d’une voix monocorde. Mais la vue du petit canot à la voile rouge le met soudain en verve, et le voilà qui improvise : « à votre gauche le site de Talmont, à votre droite Olivier de Kersauzon… » Comparaison flatteuse ! Les passagers me saluent d’une clameur et agitent les bras. Je leur rends leur salut en souriant.

Le vent monte progressivement. À l’ouvert de la baie de Saint-Georges-de-Didonne je croise une flottille d’Optimists et de petits catamarans d’initiation animée par une ribambelle d’enfants, sous la houlette de l’inévitable moniteur en Zodiac. J’ai été un de ces apprentis loups de mer moi aussi, il y a longtemps…

Le vent monte encore, une brise de mer pas trop mal orientée contre laquelle je louvoie en force. Un bord tiré perpendiculairement au rivage, jusqu’à toucher le ressac puis un bord quasiment parallèle à la côte. J’avance ainsi, sur une eau verte, dans un clapot qui se creuse et s’entrecroise avec les ondulations de la houle.

L’art du changement d’amure

Chaque virement de bord au milieu de ce petit chahut salé doit être anticipé et décomposé rigoureusement, sinon, c’est le manque à virer assuré et il faut relancer Plénitude pour une nouvelle tentative. Il est si léger que s’il démarre vite, il s’arrête tout aussi vite…

La bonne méthode est la suivante : abattre en repérant un espace assez plat entre les vagues pour prendre de la vitesse, décrocher le palan d’écoute de l’oreille du taquet sous le vent, à portée de main. Pousser la barre puis brasser le point d’écoute au vent, quelques secondes, pour que la pression du vent sur l’arrière de la voile accentue le pivotement de la coque. Quand le bateau a franchi le lit du vent, changer le palan d’écoute de main et l’accrocher au taquet boulonné du côté opposé (un erseau épissé sur la cosse de la poulie est fait pour ça). Lofer, reprendre son cap et se rasseoir, car pour cette manœuvre il a fallu se lever pour changer de bord, à la barre. Sur ce canevas on peut broder une infinité de variantes involontaires plus ou moins cocasses : le palan d’écoute peut échapper des mains, ou bien la barre. On peut aussi perdre l’équilibre au moment de se lever pour changer de bord, à moins qu’on ne s’entortille les pieds dans le courant de l’écoute qui serpente au fond du canot !

Me voici à hauteur du platin de Saint-Palais : un banc de roches couronné de quelques cabanes de pêche au carrelet, autour duquel le courant tourbillonne. Je le rase presque à pouvoir le toucher, puis je change d’amure, cap au large.

Voici la longue côte sableuse, puis la passe d’entrée de Bonne-Anse, quasiment indiscernable au milieu des bancs de sable et des embruns, comme à chaque fois. Plus de fond pour naviguer à la voile : je relève la dérive et cargue grossièrement la voile. Le gouvernail touche le sable, je saute à l’eau pour le décapeler de ses aiguillots et balance en même temps la petite ancre par-dessus bord.

Belle escale à Bonne-Anse

Ma coque de noix, un pan de sa voile rouge battant mollement dans le vent, pivote gentiment sur son mouillage, face à l’étendue bleue où seules les dunes de Soulac se devinent dans le lointain. Plénitude, jamais tu n’avais aussi bien mérité ton nom !

A l’entrée de Bonne Anse A l’entrée de Bonne Anse

Petite corvée de halage pour remonter le courant qui sort de la passe, puis arrêt au bord d’un ruisselet qui serpente encore sur le sable. J’en profite pour lancer un grand chantier de maintenance. Je vide intégralement la coque, écope les fonds, nettoie les caillebotis, refais des surliures et des amarrages sur les espars et les cordages, sèche mes affaires, et fais l’inventaire du contenu des bidons étanches. La marée remonte, et quand j’ai fini je modifie l’ancrage du canot, plus haut sur l’estran.

Le résultat de la remise en ordre Le résultat de la remise en ordre

Il n’y a plus qu’à passer une soirée et une nuit magiques, sous les étoiles, au bord de l’estuaire. Les foules estivales qui hantent l’endroit en juillet et août ne sont pas encore arrivées ici et, mis à part le passage furtif de quelques pêcheurs, j’ai la grande anse sableuse pour moi tout seul. Je marche un moment sur le sable froid de la dune qui cerne l’anse, avant d’aller dormir. La vie de l’estuaire à son embouchure palpite devant moi : bouées qui clignotent, phares de Cordouan et de La Coubre, entre autres, dont les pinceaux balayent en cadence l’obscurité, lumières mouvantes et halètements mécaniques des grands navires qui remontent le chenal de navigation. Royan, le Verdon et Soulac ne sont plus à cette heure que des halos orangés qui brillent dans le lointain. Gémissement du ressac. L’estuaire vit, respire et soupire sans repos, comme un grand animal mystérieux qui vient en rampant s’accrocher au rivage.


Lundi 15 juin | Mercredi 17 juin


 

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