Les canards s'en lavent les pattes

En canot sur la Gironde :
 
Croisière 2008 à bord du canot Plénitude

par Jean-Bernard Forie


Mardi 8 juillet

Le matin est lumineux et le vent faible : je soulève le taud et découvre un ciel bleu et lavé.

Frénésie de la remise en route, après les longues escales ! Vivement, le taud est plié, rangé, le canot mis en ordre de marche et je largue les amarres pour un départ à l’aviron.

Les planches !

Je repasse sous le pont, puis fais une petite halte sur la berge pour redresser le mât et préparer la voile. Les planches ! Mon œil acéré de rôdeur des grèves n’a vu que cela : quelques voliges en bon état que les hasards des marées et des vents ont échouées ici. Je les embarque aussitôt, pour les ajouter au petit tas de voliges, tasseaux et chevrons qui m’attend, dissimulé plus loin. Enfantillage ? Fantaisie de vieux maniaque ? Peut-être, et je l’assume, mais… c’est aussi un don de l’estuaire généreux et cette générosité-là ne se refuse pas. Et puis, plus tard, quand la mauvaise saison dissuadera de naviguer, je réaliserai alors maint modeste bricolage domestique avec cette ressource gratuite, et elle parlera à mon cœur en me rappelant mes vagabondages nautiques.

Pour le moment, une fois dégagé de l’Anse du Conseiller et emporté par le jusant, je mets le cap sur Bonne Anse, à l’extrême ouest de l’estuaire. La brise est stable en force et en direction, la houle modérée, le ciel dégagé. L’étape est franchie sans aucune difficulté, un vrai régal.

Retour à Bonne Anse

Mais l’entrée dans Bonne Anse même est, comme à chaque fois, très difficile. Le chenal d’accès change continuellement, et même en montant sur un banc du canot il n’est pas possible de voir grand-chose. Je me fie aux changements de couleur de l’eau et autres menus signes, car les petites bouées qui balisent la passe d’entrée sont à cette heure de la marée toutes échouées sur le fond qui découvre. Il ne reste finalement, alors que c’est l’étale de la marée basse, rien d’autre qu’une rigole qui serpente entre des monticules de sable.

J’échoue Plénitude à l’entrée de celle-ci et je le hale pour entrer dans l’anse. Un maître-nageur apparaît sur son Zodiac. Il me propose poliment son aide, me croyant en panne de moteur. Situation classique : un type qui tire son bateau au bout d’une haussière ne peut QUE être en panne, et il faut que je lui explique que sur un canot voile-aviron, justement, il n’y a pas de moteur. Un peu interloqué, il me laisse continuer mon halage et je parviens enfin à l’intérieur de l’anse.

Je progresse lentement à l’aviron pour finir ma course, faute d’eau, sur le sable vasard parsemé d’huîtres sauvages.

Je laisse à la marée haute le temps de revenir, ce qui me permet de me reposer, manger quelque chose et préparer le bateau pour aller tout au fond du petit plan d’eau, au pied du cordon de dunes qui protège Bonne Anse de l’océan. Avec la montée de la marée, la traversée est rapide, mais les dernières dizaines de mètres qui me séparent de la rive sont laborieuses. En effet, j’arrive là aussi trop tôt et le fond très vaseux de l’anse est à cette heure à peine couvert d’eau. Pour ne pas barboter dans la vase, ici particulièrement noire, collante et malodorante, j’attends patiemment que l’eau monte. Lentement, je me rapproche du schorre, où on peut commencer à progresser en passant de motte herbeuse en motte herbeuse, avant que celles-ci, au fur et à mesure que la terre ferme se rapproche, ne soient de plus en plus serrées. Le canot est resté en arrière, au bout de son câble d’ancre.

Bonne Anse le bout du monde Bonne Anse le bout du monde

J’escalade la dune, non loin du phare de La Coubre. L’océan est devant moi. La passe à terre, censée permettre de sortir de l’estuaire en rasant le rivage cap au nord, est totalement impraticable. La houle déferle sur les hauts fonds. Ce ne sont pas des brisants qui déferlent en longs rouleaux, mais un clapot extrêmement haché qui s’écroule de manière aléatoire en grands panaches d’écume. Pour moi qui envisageais de passer par là demain en milieu de journée, il me faut renoncer : la houle, suite au petit coup de vent des jours derniers, est encore trop forte et dangereuse sur ces hauts fonds pour un canot creux tel que Plénitude.

Qu’importe, demain m’attendent d’autres endroits à explorer.

Je reviens à bord, et retraverse à l’aviron toute l’anse. Je fais escale pour la nuit à proximité de la passe, pour sortir de cet abri plus rapidement demain matin. C’est le soir, le plan d’eau se vide de nouveau et je me prépare pour la nuit.


Lundi 7 juillet | Mercredi 9 juillet


 

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