Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - été 2003

par Jean-Bernard Forie
Photos : Jean-Bernard Forie


Samedi 26 juillet 2003 : jour « J »

Mise à l’eau du canot ce matin dans le port de Libourne. Je le conduis ensuite au ponton du club d’aviron, au confluent tout proche de l’Isle et de la Dordogne. Il ne me reste qu’à réaliser pendant la journée les dernières étapes de la préparation de cette randonnée : faire les courses, regrouper le matériel dans des sacs et des bidons, et porter tout cela à bord. Ensuite, il faut tout arrimer, et préparer le gréement en attendant la renverse prévue vers 20h.

Cette journée a été terriblement chaude. J’ai ruisselé de sueur tout l’après-midi, mais qu’importe, je touche au but : à l’heure de la renverse, quand le jusant m’entraînera, ce sera la délivrance.

20h15, le courant s’inverse. Les amarres sont rapidement larguées et je pars à la godille parce que je suis déventé par la berge de l’Isle (les plus hautes feuilles des peupliers de la rive frissonnent, mais l’eau reste absolument plate). Il y a une petite vedette habitable battant pavillon hollandais, amarrée au ponton des visiteurs et son équipage me salue. Les eaux puissantes de la Dordogne me happent ensuite, et je défile devant des restaurants et des guinguettes d’où parfois des convives me hèlent, et sur l’eau les sons portent loin, mais leurs traits d’esprit me laissent impassible et se perdent dans cette douceur tranquille, dans l’air et sur l’eau, qui annonce la venue du crépuscule.

La petite brise permet un louvoyage facile, sans trop de clapot, et la brise souffle encore alors que le jour disparaît.

Première navigation de nuit

Le fleuve est maintenant plongé dans l’obscurité totale, trouée parfois par l’éclairage public de quelques hameaux ou par un projecteur allumé au fronton de certaines des grandes demeures installées au bord de l’eau. Comme un fantôme, Plénitude traverse rapidement ces pinceaux de lumière.

Nous voici à hauteur de Cubzac-les-Ponts, il est minuit. Un trafic incessant de véhicules ronronne sur le pont autoroutier, malgré l’heure tardive. Il faut parer les piles des trois ponts, avec leurs remous et tourbillons, louvoyer contre la brise qui soudainement se renforce, et surtout porter sur ses épaules la fatigue de cette immense journée. Aussi, par lassitude, même s’il reste une bonne heure de courant descendant, je décide de venir mouiller près de la berge, après avoir franchi les deux premiers ponts.

C’est la première escale et il faut retrouver les petits rituels de la vie dans un canot creux. Bientôt, l’eau chaude siffle dans la bouilloire posée sur le réchaud. La première soupe-minute de cette escapade nautique a une saveur incomparable et je passe ensuite une nuit très paisible.

Pour passer une bonne nuit sur un petit canot de 4,60 mètres de long et 1,35 mètre de large, j’ai choisi de mettre en œuvre un type de confort qui n’a rien à voir avec les usages douillets qui ont cours à terre. D’abord, je n’ai amené ni couverture ni duvet : la première rosée venue les trempe, et ensuite ils ne peuvent plus sécher, et c’est pire encore s’ils s’imprègnent d’eau de mer. Ensuite, les circonstances peuvent obliger à se lever très rapidement pour faire face à un danger quelconque : pas question alors de sortir tout nu et grelottant d’un duvet bien tiède. Mon choix, c’est de dormir revêtu d’un blouson en polaire, d’un ciré, ainsi que de bottillons et de gants en néoprène, la tête recouverte d’un bonnet de laine avec par dessus la capuche du ciré. Ainsi transformé en une sorte de Bibendum, je m’endors du sommeil du juste, insensible à la rosée qui dégouline, aux courants d’air et à la froidure de la nuit.


Présentations | Dimanche 27 juillet


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
Aller en haut de page

 

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde