par Jean-Bernard Forie
Jeudi 8 juillet
Toujours à cause de la marée je décide comme hier de partir à l’aube, à la recherche des derniers ports du Médoc que je n’ai jamais visités. J’ai mis le réveil à cinq heures du matin. Il sonne, mais je reste allongé, trop fatigué pour me lever d’un bond. Soudain, un canot à moteur rase mon canot en rugissant. Je me lève en sursaut : il faut raccourcir le câble d’ancre car, dans mon imprévoyance, la marée ayant monté pendant la nuit, je me retrouve en plein milieu du chenal, sans feu de mouillage de surcroît.
Une fois dépassé le phare de Richard, j’ai le choix entre le port de Saint-Vivien-du-Médoc, puis plus loin ceux de Talais et Neyran. Je décide de rejoindre directement Talais.
Le banc de Saint-Vivien apparaît, long trait brun au ras de l’eau, ponctué des petites touches blanches des oiseaux de mer au repos. Je lui donne un large tour, mais la dérive gratte le fond de nombreuses fois, même à demi relevée. Heureusement, le vent est de secteur est, traversier, ce qui permet de naviguer avec très peu de dérive descendue. Parvenu à proximité du marégraphe, je me dirige vers la rive. Des crassats (bancs de coquilles d’huitres) surgissent un peu partout, d’autres se devinent sous l’eau, qu’il faut éviter.
J’atteins (à l’aviron car il n’est plus possible de naviguer à la voile dans cet endroit, faute de fond) l’entrée d’un estey. Impossible pour moi de savoir s’il s’agit de Talais ou Neyran. Il est, de toute façon, inabordable à cette heure de la marée. Dans ces parages, les eaux sont hérissées d’une multitude d’obstacles : aux crassats s’ajoutent des piquets isolés, des pieux de bois dont certains sont rehaussés de tiges de fer rouillées, des alignements de poteaux perpendiculaires au rivage (supports de filets ?), des blocs de béton, ainsi que quelques épaves. On frémit à l’idée de s’aventurer de nuit dans un endroit aussi hostile ! Le trait de côte lui même est remparé d’une haute digue bétonnée d’où partent les estacades de nombreux carrelets.
Je longe cette rive, lentement, et m’engage dans le chenal du Gua, long de plusieurs kilomètres, qui mène au port de Saint-Vivien-du-Médoc. Les méandres succèdent aux méandres, impossible d'en deviner le terme. Au bout d’un long moment de nage, dissimulé dans les roseaux, le port de Saint-Vivien apparaît. C’est un ancien port ostréicole, qui a conservé ses cabanes serrées les unes contre les autres. Elles se sont transformées au cours des années en résidences secondaires, en auberges et autres chambres d’hôtes.
Chaleur atroce. De bleu, le ciel passe au blanc, avec un voile de nuages d’altitude. Bourrasques passagères d’ouest-sud-ouest. D’ouest-sud-ouest ? Alors qu’au bord de l’estuaire souffle le vent de nordet ! Vent local, illusion ou véritable changement de temps ? Je quitte le port de Saint- Vivien, toujours à l’aviron. Revenu à l’entrée du chenal, je constate que sur l’estuaire la brise souffle toujours du nordet…
Lassé de mon exploration médocaine, je décide de filer « en face », vers Talmont ou Meschers. C’est une traversée rapide et facile, mais, avec la fatigue accumulée de ces derniers jours, je m’endors continuellement à la barre, avant de me réveiller en sursaut quelques secondes plus tard, en plein rêve. Je corrige alors le cap, reprends la barre d’une main ferme et… je me rendors aussitôt ! C’est un phénomène irrésistible, je ne peux pas rester éveillé plus d’une minute avant de repiquer du nez. Je ne retrouve ma lucidité qu’à l’approche de la côte.
Je cherche un recoin abrité de la conche de Suzac, juste avant la pointe du même nom, pour y faire escale. Mais la marée est trop basse ; au moment où j’arrive, la petite anse sableuse recherchée est devenue inabordable. Saint-Georges-de-Didonne constitue alors une escale plus logique. Va pour Sain-Georges ! Le vent disparaît au passage de la pointe de Suzac, dans les remous au pied de la falaise. Le canot part à la dérive, sa voile complètement déventée. Un tourbillon l'aspire et l'envoie dangereusement près de la falaise, avant qu’un contre-courant ne l'en écarte. J’empoigne les avirons et me dégage.
Arrivée à Saint-Georges-de-Didonne dans un grand calme blanc. J’échoue mon bateau au fond du port, dans la vase. Puis j’enfile mes cuissardes et mets de l’ordre à bord, en tournant à ma guise autour du canot pour modifier l’arrimage de mes affaires et préparer le dîner. Ensuite, je pars scruter les signes du ciel en marchant jusqu’à la pointe de Vallières. La météo prise avec le portable annonce une violente dégradation orageuse. À l’horizon, le ciel est noir comme de l’encre. Revenu à bord, je déploie une bâche épaisse que je grée sur le tangon soutenu par deux avirons croisés, et me glisse dessous. Trois gouttes de pluie suivies d’un éclair semblent confirmer la prévision météo et puis… plus rien. Le reste de la nuit est ici parfaitement calme, et le ciel commence à se dégager.
Mercredi 7 juillet | Vendredi 9 juillet