par Jean-Bernard Forie
Samedi 15 juillet - Saint-Palais-sur-Mer
Le jour se lève, et la marée arrive : c'est la combinaison commode pour la randonnée nautique, car après une nuit passée à l'échouage en haut de l'estran, on peut appareiller après le petit déjeuner, en ayant eu le temps de ranger ses affaires sans se presser.
En quittant la baie je décide de longer la côte de près pour explorer les conches entre Meschers et Saint-Georges-de-Didonne. La petite taille du canot se prête idéalement à ce genre d'exploration, et je me régale à fureter au pied de la falaise truffée d'habitations troglodytiques puis à longer les petites plages entrecoupées de pointes rocheuses. Une toute petite conche pique ma curiosité : une avancée de roche cache une anse taillée dans la falaise de calcaire dont le fond tapissé de sable est envahi par la mer. La marée descend mais c'est plus fort que moi : je débarque dans quelques centimètres d'eau et je fais un petit tour sur la plage afin de prendre des photos.
Au moment de repartir, impossible de remettre le canot à l'eau : sur cette plage sans pente, après avoir baissé d'à peine un ou deux centimètres, l'eau me laisse collé au sable. Le canot se comporte alors comme un grand corps inerte qui refuse de bouger, et les quelques vaguelettes qui viennent mourir le long du bordé accumulent un bourrelet de sable qui me complique encore plus la tâche. Impossible de glisser comme hier sur la vase : avec le sable, c'est différent. Piégé ! Je suis en train de me faire piéger !
Mais un promeneur apparaît et m'offre son aide. À deux nous parvenons à rapprocher la lourde coque des vaguelettes qui brisent sur l'estran. Une lame d'eau s'engage sous la coque qui reprend vie, je bondis m'installer aux avirons pendant que mon équipier d'un instant continue de pousser le tableau arrière et me maintient face au clapot. D'un bond, je regagne l'eau profonde et vois la silhouette de cet équipier d'un instant diminuer, et je le salue avec de grands signes du bras.
Je continue à fureter le long de la falaise, longeant encore des grottes découvertes par la marée, des cabanes de carrelets perchées dans des endroits incroyables et autres merveilles marines. Puis je repasse une fois de plus devant la pointe de Suzac au pied de laquelle chuinte toujours ce mystérieux clapot chaotique avec son curieux bruit de friture, puis j'entre dans la baie de Saint-Georges. J'y capte une brise plus soutenue que les souffles épars qui rôdaient au pied des falaises de Meschers et, d'un rapide bord de largue, la brise étant du secteur nordet, j'atteins la petite anse de Saint-Palais-sur-Mer.
Rien de particulier n'est fait pour attirer le marin dans cet endroit : ni les plateaux de roche qui découvrent largement aux abords de l'anse, ni la petite foule de baigneurs qui s'y ébattent à grands cris, ni le mouillage rouleur de l'avant-port, ou le port lui-même, un vrai piège à bateaux qui se limite à une minuscule zone d'échouage parsemée d'obstacles et mal abritée par une digue trop courte.
C'est pourtant là que j'échouais mon canot sur un lit de coquilles d'huîtres sauvages le temps d'une escale précaire d'environ deux ou trois heures. Des souvenirs déjà anciens m'ont incité à revenir ici, et je constate avec bonheur que rien n'a changé. Je furète dans les roches de la côte un moment, allant jusqu'à ce plateau parsemé de gros blocs rocheux où la côte calcaire s'interrompt d'un coup pour laisser place à la dune. Là-bas, sur Cordouan, une multitude de bateaux est posée au pied du phare tandis que dans le chenal, gentiment poussés par la petite brise, passent des plaisanciers : grands yachts, petits bateaux, et même une belle jonque en bois d'une dizaine de mètres, ses voiles lattées grandes ouvertes au souffle de la petite brise portante.
Revenu à bord, je vois qu'un homme s'approche du canot. Il est de la race des charpentiers de marine amateurs, et nous nous trouvons tout de suite de nombreux sujets de conversation. Nous passons là un moment agréable avant que le retour du flot ne nous sépare.
17h, départ à l'aviron, la voile ferlée battant dans la brise. C'est une des faiblesses du gréement à livarde que de ne pouvoir s'établir rapidement, surtout au vent arrière, comme il en est d'une voile au tiers. Au moment de mettre en place le long tube du balestron, le cafouillage est total. La voile persiste à s'enrouler autour du mât et à bloquer le balestron, puis celui-ci se dresse soudain à la verticale et un triangle de toile battante encapuchonne la tête de mât, détruisant la girouette (comme à chaque saison, hélas...). J'emmène tout sur le pont en jurant à haute voix. Je prends carrément deux ris dans la voile pour venir à bout de ma manœuvre plus facilement avant de l'établir rapidement, puis je m'éloigne de la côte. Une fois dégagé de la terre, je largue les ris et traverse lentement l'estuaire. Le soir même, aidé d'un dernier souffle d'air, je viens de nouveau jeter mon grappin dans l'anse de la Chambrette. Le temps semble tourner à l'orage et un cumulo-nimbus immense se dresse au-dessus de nous, d'où sortent des éclairs. Une petite pluie tombe un bref moment, la plage se vide, la soirée à bord est très calme. Je me baigne autour de mon bateau, avant d'installer pour une dernière fois la petite voile rouge de 4 m² qui me sert de tente, à l'abri de laquelle je ne tarde pas à m'endormir paisiblement.
14 juillet - L'anse du Conseiller, la baie de Dorat | 16 juillet - Retour à terre