par Jean-Bernard Forie
Il s’agit d’une grande barque à fond plat et extrémités carrées, avec un franc-bord relativement important pour une embarcation fluviale, composé de trois épais bordés cloués sur des membrures assez rapprochées.
Les coutures entre les bordés sont calfatées assez grossièrement avec du goudron. Aucune peinture n’est utilisée, le bois est laissé brut à l’intérieur.
La partie plate qui tient lieu d’étrave s’appelle traditionnellement la marotte. Le fond plat se relève progressivement et sort un peu de l’eau jusqu’à cette marotte. Avant la motorisation qui a amené à modifier l’arrière, les couralins étaient peut-être parfaitement symétriques. Cela mérite un complément d’enquête.
On peut voir ici le cadencement serré des membrures et les deux pontages aux extrémités de la coque. Dans le centre de la coque, on a jeté un plancher grossier : le « payol », en gascon.
Sous le tillac avant, démonté pour la photo, on a rangé, entre autres, le grand aviron de godille (qui ne doit pas servir souvent !).
L’image suivante montre les lattes de métal qui relient les varangues (membrures du fond plat) aux allonges (membrures supérieures). Curieux, ce mode de construction composite mariant le bois au métal : indice d’une certaine décadence dans la construction de bateaux fluviaux ? Difficulté de se procurer les bois courbes habituellement utilisés, plus vraisemblablement.
Petite remarque : pas de bancs qui entravent les déplacements à bord. Seuls les barrots qui supportent les tillacs empêchent cette grande coque dépourvue de renforts longitudinaux (quille, serres, plat bords) de s’ouvrir comme un couffin… Mais on est sur un fleuve, en principe dépourvu de houle, et les efforts de flexion subis par la coque sont limités.
La Garonne en crue sait être tumultueuse, et ce vieux bateau en présente les stigmates : après avoir ragué des jours et des mois entiers contre la coque dans le chahut continuel des tourbillons et du clapot qui agitent à la mauvaise saison les eaux de la Garonne, les amarres ont profondément creusé le bordage. Il faut préciser que ce couralin est singulièrement dépourvu de matériel d’amarrage. Pas de taquet, pas de chaumard, encore moins d’écubier : les aussières sont simplement ficelées (il n’y a pas d’autre mot !) sur quelques rares boucles de fer.
Le fond plat dépasse du tableau et des bordages, comme s’il avait été découpé volontairement trop grand. Cela permet de rapporter dessus, au bas du bordage de flanc, une latte censée améliorer l’étanchéité. Une généreuse quantité de goudron passée par-dessus vient garantir cette étanchéité, sans trop se soucier de l’esthétique.
On remarquera aussi les deux fémelots décentrés, pour tenir une grosse dame de nage (absente ici) dans laquelle s’engage l’aviron de godille.
Une image déroutante, sortie de la nuit des temps. Une pirogue sénégalaise ? Non, car il manque les couleurs bariolées. Une jonque chinoise ? Non, car dépourvu de voiles lattées. Un boutre arabe ? Non, car il manque l’étrave pointue et élancée. Une épave antique ? Non, car la barque flotte parfaitement.
Pas de doute alors, il ne peut s’agir que d’un couralin !