Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - juillet 2002

par Jean-Bernard Forie
Photos : Jean-Bernard Forie


Mardi 23 juillet 2002

Réveil pénible, lent et courbatu. C'est normal, compte tenu des évènements d'hier soir. La petite brise de nordet persiste ce qui me permet de continuer à descendre l'estuaire.

Beau temps, eau plate : calme trompeur ?

L'eau est absolument plate et le ciel bleu. L'air vibre, d'une pureté de cristal, et la navigation est agréable et facile.

Je longe la rive charentaise, il est 14h. Il y a peu de fond là où je suis, et le courant de flot qui revient, pour cette raison, n'est pas très fort : je le remonte donc à la voile et imagine pouvoir bientôt embouquer l'estey de Mortagne. La bouée rouge d'entrée de l'étier se dandine à quelques encablures. Mais la brise monte soudain d'un cran et un clapot court, creux et brutal s'installe d'un seul coup. Je ne peux avancer qu'en larguant de l'écoute et le canot peine, écrasé par sa grande voile rouge qui claque dans la brise. On tangue sans avancer, le mât sans hauban se cintre comme un arc : il faut faire quelque chose.

Je jette l'ancre, espérant prendre calmement un ou deux ris. Je suis obligé de rester à l'avant au pied du mât pour cette manœuvre de réduction de voilure, et le canot soulage mal : les petites crêtes moutonnantes qui accourent sur l'avant éclatent sur le bordage et l'eau embarque.

Le thermique, voilà l'ennemi !

L'estuaire se creuse de plus en plus : la brise thermique bascule au nord-ouest et souffle de toute sa puissance.

Il y a peut-être un bon force 5 là où je suis et toute manœuvre à la voile sur ce canot ouvert me paraît impossible. Ce n'est pas à cause des efforts à fournir, même en solitaire, mais parce que la berge est proche et que le vent aurait tôt fait de m'y drosser entre le moment où le grappin sort de l'eau et celui où la voile s'établit. Il est vrai que manquent encore, malgré tout le soin apporté à la préparation du canot, moult petites astuces dans le gréement qui pourraient me permettre de réduire et renvoyer très rapidement la voile.

Il ne me reste pour l'instant qu'une seule solution : bien ferler la voile sous les bancs pour diminuer le fardage, mettre un peu d'ordre à bord et partir à l'aviron, emporté par le courant, pour rejoindre Port Maubert, quelques milles sous le vent.

La pression du vent sur la coque et le mât est forte, et finit par mettre Plénitude en travers. J'arrive tout juste à grands coups d'avirons à éviter de me retrouver dans les brisants du rivage. Il faut parer les plus grosses vagues qui arrivent de l'arrière. Leur chuintement caractéristique m'avertit. Oublié le plan d'eau tranquille où je glissais paisiblement il y a une heure à peine : il faut maintenant tenir et se battre.

L'art du pataugeage dans la vase...

Me voici enfin à l'entrée de Port Maubert. Rien n'est encore gagné : une petite barre clapote bruyamment sur les bancs de vase molle qui bordent l'étroite embouchure. J'ai trop peu de manœuvrabilité pour pouvoir faire grand-chose. Me voici échoué au bord du chenal. Des vaguelettes alourdies de vase viennent claquer contre la coque basse sur l'eau et voilà le canot, son équipage et son matériel, rapidement recouverts d'une pellicule grise et humide. Je saute dans la vase où je m'enfonce jusqu'à mi-cuisse.

Essayez donc de déhaler un lourd canot en pataugeant dans de la vase molle !

Port Maubert (tout débarquer, tout laver, tout ranger…)
Port Maubert
(tout débarquer, tout laver, tout ranger…)

Je bascule le ventre et le torse sur le pontage arrière et je pousse avec les jambes. La marée montante, la pression du vent sur la coque et mes efforts désespérés agissent : me voici enfin dans le chenal bordé de roseaux. L'intérieur du bateau, maculé de vase, est indescriptible : une vraie marie-salope ! Et le « cap'tain » ne vaut guère mieux.

Escale à Port Maubert, enfin, où je peux m'amarrer à un ponton flottant, débarquer le matériel, vider le bateau, tout nettoyer et tout ranger.

Je prends enfin le premier repas chaud depuis le départ et me couche tôt. Le ciel se couvre de nuages et il y a une prévision de pluie pour cette nuit et demain matin. J'installe soigneusement la voile sur les bancs et je me glisse dessous, revêtu de mon blouson de montagne. Le duvet est inutilisable car il s'est trempé pendant l'après-midi, chose que je ne découvre qu'au moment de le sortir de son sac prétendument étanche. Je dormirai donc tout habillé sur les petites planchettes de sapin du caillebotis installé au fond de la coque. Quand on est fatigué, elles valent n'importe quel sommier. Je m'endors instantanément.


Lundi 22 juillet | Mercredi 24 juillet


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
Aller en haut de page

 

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde