Crépuscule sur Cordouan
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Talmont-sur-Gironde

Une démarche de création artistique au fil des mois
 

23 mai, Blaye, sous la citadelle —À point d'aube la lune ronde dans un ciel déchiré, le feu d'un cotre mouillé sous l'Île Nouvelle, luciole qui suffit à creuser la rade. Aux premiers rais du jour, tranchée par la raille d'un colvert, l'ombre de la citadelle sur la passe. Bris d'eau, frondes de brume, sans fin craie grasse des ravenelles. La citadelle : cendrée d'os, pierre feu, lichens poivre. Le Médoc : ligne de grains, courtines de pluie, coulée rompue.

Relecture encore : ce passage daté du 12 avril questionnant l'identité des voix, cherchant la qualité des énonciateurs : "Seraient-ils la parole des femmes de pêcheurs qui auraient en dernier recours sorti leurs draps de l'armoire et les auraient portés au fleuve pour qu'il y laisse une trace, la réponse du territoire au questions qu'on lui pose ?" L'expression  : en dernier recours, postule un combat inscrit dans la durée. "Transmettre est un projet volontaire, organisé, pour maîtriser le temps, pour faire date. C'est aussi une opération polémique, une lutte pour la survie du message. [...] L'obstacle à la transmission est l'adversité des forces hostiles, de messages rivaux. On transmet toujours contre des croyances antérieures ou concurrentes." (Régis Debray, Les enjeux et les moyens de la transmission.) Qu'y a-t-il donc à transmettre ici, dans l'espace estuarien ? Depuis quelques temps se constitue un inventaire de mémoire, comme celui que propose le musée ouvert par les Amis de Talmont, et l'ouvrage élaboré par ses fondateurs : Pêches traditionnelles des rives saintongeaises de la Gironde (1850, 1950) ; ou encore comme le récent ouvrage de Patrice Clarac, Gens de mer, gens de rivière en Gironde au vingtième siècle.

Comment et jusqu'où poursuivre ce travail de mémoire pour que la communauté s'en empare ? Quels en sont les enjeux ? Dans son ouvrage cité plus haut, Hugh Brody écrit à propos des femmes d'une communauté de l'Alaska. "Elles ont commencé par déclarer [...] qu'elles prendraient maintenant la tête de l'action [...] Leur discours, après tant de pertes et de désespoir, affirmait que c'était elles qui se débrouilleraient pour que leurs fils et leurs filles apprennent les compétences de leur pays." Importe ici la conclusion de Hugh Brody : "L'efficacité des femmes lors de tant de campagnes [...] est indissociable des caractéristiques profondes des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Bien que les divisions des rôles soient claires, ce sont des systèmes de vie économique et familiale où hommes et femmes sont conscients de l'interdépendance quotidienne des deux sexes." Jadis à Talmont comme ailleurs, cellule familiale et structure de production se confondaient : la femme partait chiner l'esturgeon pêché par son mari, poussant la voiturette à bras, sillonnant la campagne. Cette voiturette à bras ressurgit du passé pour apparaître sur un des draps calligraphiés.

Elle rappelle la place des femmes. Elle les avère héritières d'une manière d'être au monde, d'une culture, d'une autorité naturelle, d'une légitimité à prendre aujourd'hui la parole. Leur manière d'aborder le débat de la transmission des valeurs est-elle susceptible d'en enrichir les perspectives ?

 

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde