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avril. Blaye, au pied de la citadelle —Les
femmes des pêcheurs, je ne sais
les joindre. Et quand bien même,
que leur dirais-je ? Et que ferais-je
si je vivais cette vie de femme de
pêcheur ? Je ne suis ni
anthropologue ni journaliste néanmoins
je suis femme, et je suis plasticienne.
Je ne hisse pas les voiles, mais je
sors les draps et je les porte au fleuve.
Lessive du fleuve, augures du fleuve,
non pas marc de café mais traces
de vase. Traces à mettre en
mots.
Dans l'estuaire tout est exposé à la dureté du fleuve, hommes, bâtiments, matériaux, tout : l'éphémère, le fugitif, le fragile et l'éternel. Ici le fleuve est presque une mer, le vent prend des allures de tempête. Église dévorée par le fleuve, portail de l'église si intense, si usé, si fragmentaire. Travailleurs de la rivière inquiets de l'avenir. Une même et double matière : la vase et le drap de lit. La vase du lit du fleuve. Le drap du lit des hommes. La vase de laquelle la vie, il y a si longtemps est apparue. Le drap de lit qui en Occident accompagne l'homme de sa conception à sa mort. Vase, lieu initial de la vie. Drap de lit, linceul et enveloppe des joutes érotiques. Vase sur drap. Vie du fleuve sur vie des hommes. Draps que tendent les femmes aux hommes pour qu'ils y portent leurs mots. Voix du fleuve, voix des hommes, voix des femmes. Un chant à plusieurs voix, un seul support, le drap. |