Crépuscule sur Cordouan
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Talmont-sur-Gironde

Une démarche de création artistique au fil des mois
 
4 avril, Blaye, sous la citadelle —Petit jusant, temps gâché, Fort Médoc dans le premier soleil. Senteurs de l'herbe en fleur, les tilleuls de la jetée lancent leurs feuilles. Le temps est venu d'un premier regard sur les textes calligraphiés, coup d'œil sur le sillage, sur le compas et sur la carte.

Sonnent juste les textes qui exaltent la constance des valeurs humaines sous les identités dissemblables. Identités caractérisées mais ouvertes sur le monde, communicantes. Laisser voir sous la trame des mots ce qui les rapproche et ce qui les différencie, et par là éclairer la question de la conservation du patrimoine, de l'héritage par diffusion dans les sociétés démarquées, dans la grosse société.
Privilégier également les textes évoquant la pérennité écologique, éclairant la menace, disant l'enracinement dans le territoire, la capacité de gérer la nature, les représentations du monde qui s'y associent. Textes donnant l'alerte, appelant à la vigilance.
Le choix opéré de croiser les cultures et favoriser le pluralisme des expériences se trouve ainsi confirmé. Les questions posées sur l'estuaire ne trouvent leur issue que répercutées sur une aire géographique et historique élargie. Manière de prendre langue avec d'autres pêcheurs, d'autres groupes humains, des groupes qui sont eux-même le message à transmettre.
Autre raison de croiser les cultures : la perception est renforcée par les décalages, par la diversité des choix formels. Appel à témoins.
Seize heures trente, l'orage, le bac disparaît dans le gris, le grondement de ses machines habite le souffle de l'averse, abat d'air, musc du jeune avril. Les draps étendus sur la main-courante du ponton sont rentrés précipitamment. Une vingtaine de draps tannés en trois jours, la pluie redouble puis les grains s'espacent. Le jour se lève à nouveau.

Oui, à travers les textes calligraphiés, laisser parler ceux qui ne trichent pas avec le territoire, ceux qui endurent la fatigue, le froid, parfois la disparition de leur culture, ceux dont la parole pèse, gens de la dure, de la parole nue, vérités de toujours et de partout. Seule cette parole peut rencontrer les hommes et les femmes du fleuve, entrer en résonance avec leur pratique, démultiplier leur pensée, faire passerelle sur l'avenir. Mais comment la faire passer  ? Comment faire coexister cette dimension humaine du territoire et une recherche artistique ponctuelle ? Les textes calligraphiés sur les draps ne représentent pas la pêche d'estuaire dans sa matérialité objective, mais en disent quelque chose. S'ils ne représentent pas, alors que disent-ils  ? Cela qui entre dans la mémoire des peuples ? Une prophétie du fleuve ? Une porte entrouverte sur la disparition ? Sont-ils une danse qui veut dépasser la disparition ? La dépasser pour y mieux revenir ?

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde