21 février 2005, Talmont —Clair
frimas, embâcle de la baie, cristaux crissant sous
le pas, écume gros sel. Le banc du Bœuf,
herbier de fucus, la balise qui le pare, perche rouge
surmontée d'un marque, base bardée de naissain.
La bise caresse les roseaux. Le marcheur s'éloigne,
l'air brûle la gorge, le gel traverse le cuir du
mocassin, cliquetis des écales d'huîtres,
des traces de chevaux en fond de baie. Echarpes de vase
rouge striant l'estran, les toits du village, Sainte
Radegonde s'élevant de la nappe de tuiles dans
une poussière de feu, ciel blanc percé de
vif.
Les forces vitales du territoire migrent du fleuve aux lignée à travers le pêcheur : lorsqu'il consomme le poisson qu'il a pêché, c'est le fleuve qu'il mange. Cette chaîne s'étend à ceux qui consomment le poisson sauvage, et les assimile symboliquement à la lignée du pêcheur, et par là au fleuve. L'acte du pêcheur constitue ainsi un ancrage de l'identité sociale, il prend valeur symbolique, sacrée. Ainsi sont mises en parallèle cette ligne de transmission des force vitales et la lignée des ancêtre telle que la rend présente la fidélité du pêcheur à son destin. D'où il ressort que la lignée reçoit pour ancêtre fondateur le fleuve lui-même, à travers la figure d'un poisson mythique. Conviennent à cette figure aussi bien l'esturgeon que le maigre, dont le taille, le poids et la durée de vie les assimilent à l'homme. Figure tutélaire, archétypale, qui prend place dans la ligne de vie qui née des eaux il y a des millions d'années aboutit à l'homme d'aujourd'hui. Ligne qui se perd en deçà dans le mystère de la création et au-delà vers un avenir questionnant. Le pêcheur condense dans sa pratique ce long parcours, sa pêche constitue une commémoration, un mémorial. Par ailleurs, cette extension de la lignée dans le temps et dans l'espace en fait un champ où s'élabore une représentation du monde, une cosmogonie, une morale disant le juste et le bien, une voix gardienne de la lignée. Une troupe de mouettes sur la laisse, ramage des passereaux piqués par l'invite de mars, le rouge-gorge sur le parapet, l'herbage soufflé de givre. Dans l'arrière-pays, labour, mauve des forêts. A travers les roseaux, Meschers, l'éclat du soleil sur une vitre lointaine, les lignes des toits imbriqués, leurs dentelures sur le gros de la falaise, un art du paysagiste. « Je puis vous recommander la plume d'oie, les lignes qu'elle fait sont plus dans le caractère que celles que l'on trace avec le roseau. » (Vincent Van Gogh à son ami peintre Koning, lettre 489a N, Arles, juin 1888). |