Lettres d'estuaires

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Le vieux gabarier

Ô toi ! Vieux gabarier dans ton fauteuil usé

Réchauffe ton corps meurtri devant la cheminée.

Dehors tombent goutte à goutte les perles mouillées

Pour toi, c'est le bruit des galoches qui résonne sur les pavés.


Combien de clairs de lune et de belles étoiles

Reflétaient ton visage dans les plis des grand-voiles.

L'étrave écumante luttant contre les flots

Dont toi seul à la barre devenait le héros.


Quand la fille des quais te donnait sa tendresse

Que dans ses beaux yeux bleus miroitait ta jeunesse. 

Maintenant c'est le vent qui t'apporte sa caresse

Et ne coulent que les larmes de ton infinie tristesse.


Lorsque les heures s'égrènent à la vieille horloge

Que son balancier rythme le souffle de ta vie.

Ceux que tu as connus ne sont plus de tes proches

Ceux que tu as aimés ne te font plus d'envies.


À tes petits enfants dans ce même fauteuil

Assis sur tes genoux tu leur lisais ton recueil

En écoutant raconter tes magnifiques voyages

Ils s'endormaient dans ton cou, ils voguaient dans les nuages.


Le temps s'en est allé dans tes nombreux sillages

Tu laisses tes fiancées le long de tes rivages

L'étrave écumante a perdu contre les flots

Et la barre est bien seule puisqu'il n'y a plus de héros.


Essaie de te redresser comme le mât de misaine

Mets ta casquette, redeviens Capitaine

Doucement, sans faire de bruit, laisse filer les amarres

Toi seul le sais, elle t'attend, ta vieille gabare.

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Jean-Paul Videau

  

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde