Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - juillet 2002

par Jean-Bernard Forie
Photos : Jean-Bernard Forie


Mercredi 24 juillet 2002

Bien sûr il pleut pendant la nuit mais je ne sens ni n'entends rien. Une poche d'eau s'est formée dans un creux de la voile et elle se déverse sur mon visage le matin quand je me redresse. Me voilà parfaitement réveillé !

Je débarque et marche le long de l'estey jusqu'à un petit tertre, à la sortie du port, pour me faire une idée du temps qu'il fait. Un immense marais couvert de roseaux entoure le port. A sa lisière joue un petit groupe de lapins que mon arrivée fait fuir.

Le vent souffle et il faudra prendre un ris. Il bruine mais une éclaircie est prévue. Revenu à bord je borde les avirons et descends le chenal avec l'aide du jusant. La sortie de la passe est encore plus agitée que la veille et il faut que je décompose soigneusement la manœuvre. Je jette ma petite ancre en bordure du chenal, puis j'établis une voilure réduite. Je relève ensuite l'ancre et donne avec la gaffe une poussée sur la berge. Le bateau se tourne dans la bonne direction et le vent emplit la voile. J'engage la dérive dans son puits et saute prendre la barre et l'écoute.

Dans les creux du Grand Chenal

Plénitude bondit vers la passe, efface le clapot sans ralentir et s'engage sur les eaux grises de l'estuaire.

Le crachin redouble, les nuages bas noient l'horizon sous leurs masses grises et mouillées : on ne voit plus rien. Je me retourne : la côte charentaise a déjà disparu dans cette grisaille et devant moi il n'y a rien de visible pour le moment. Je gouverne d'après le vent, sans compas, et veille aux risées qui courent sur l'eau.

Une fois de plus nous avons vent contre marée et, au fur et à mesure de l'approche du grand chenal balisé où le courant de marée est le plus fort, les eaux se creusent, le vent apparent augmente et les moutons qui panachent le sommet des lames se multiplient. L'eau des embruns s'accumule dans le fond de la coque et clapote sous le vent…

Il faudrait diminuer encore la surface de toile, écoper l'eau des fonds, déplacer peut-être du matériel sur l'avant pour moins taper dans le clapot, mais je reste rivé à la barre. La côte en effet devient visible, au vent, j'espère pouvoir atteindre la rive sous le vent, et ainsi naviguer en eau calme.

La marée continue de descendre et il semble possible de continuer à progresser vers l'aval. Mais ici le grand chenal longe de très près la côte du Médoc. Le courant y est donc à sa vitesse maximale, la brise souffle fort et la traversée du pauvre petit mille de large que fait le chenal à cet endroit est épouvantable. Le bateau est couvert d'embruns, le tangage et le roulis sont particulièrement violents.

Je me dégage péniblement à la voile sans avoir trouvé près de la berge la zone de calme espérée, alors comme la veille j'amène tout et continue à l'aviron.

A sec de toile je dérive parallèlement à la côte. Que faire ?

Me voilà dans une situation délicate : l'éclaircie attendue tarde à venir et dans deux heures c'est la renverse. Je décide de me replier sur les îles devant Pauillac. En effet, demain il faut que je récupère dans cette ville Benoît, l'ami qui vient partager une partie de cette randonnée avec moi. Il est donc imprudent d'aller se fourvoyer loin sur la côte du Médoc sans être certain d'être revenu à temps pour le prendre lors de son arrivée à la gare.

7,5 nœuds avec 4 m² de toile… et le courant ! 7,5 nœuds avec 4 m² de toile… et le courant !

Les conditions météo me semblent appropriées pour essayer mon gréement de mauvais temps en gréant mon petit artimon sur l'emplanture du mât de misaine. J'ai découpé de petites cales de bois pour permettre l'adaptation de l'étambrai et du pied de mât à cet espar dont le diamètre est inférieur à celui de l'autre mât. Tout marche à merveille et j'arrive à remonter avec l'aide du vent de nord-ouest le courant de jusant.

Ensuite, avec le retour de la marée montante, je peux foncer vers la balise de Trompeloup, située au milieu de l'estuaire en face de Pauillac. Je bats à son approche le record de vitesse du canot (mesuré au GPS): 7,5 nœuds ! Les 4m² de la voile font ce qu'ils peuvent mais la force du courant, surtout, est phénoménale.

J'approche de la pointe du vasard de Trompeloup à toute allure. Le courant de marée bouillonne et tourbillonne le long de l'île. J'essaie d'aborder mais il y a trop de ressac et je renonce, car tenter un débarquement sur cette berge abrupte balayée par un courant si violent me semble inutilement risqué, surtout en solitaire. Je préfère mettre le cap sur le vasard de Beychevelle.

L'estacade sur le vasard de Beychevelle L'estacade sur le vasard de Beychevelle
Escale sur le vasard de Beychevelle

J'y suis très vite et j'aborde à une passerelle construite par le propriétaire d'une tonne à canards.

Pas de réglage d'amarres : je glisse le canot entre de grands piquets et il suffit d'y faire avec les aussières de grandes boucles qui monteront et descendront toutes seules avec les marées.

Un sentier dans les roseaux Un sentier dans les roseaux

Un chemin est tracé dans les masses denses de roseaux. Il mène à la cabane de chasse, installée devant la pièce d'eau peu profonde destinée à attirer le gibier.

Il n'y a personne.

Le vent de l'après-midi fait bruisser le peuple roseau dont les rangées de tiges ondulent sous les rafales de vent.

Fleur dans les roseaux Fleur dans les roseaux

La marée achève de monter et commence à noyer les fleurs qui poussent près de la rive. L'île n'est bientôt plus qu'une mince ligne de roseaux qui émergent de l'eau, ondulent et bruissent dans la brise de cette fin d'après-midi. Tranquillement installé sur la petite estacade où j'ai abordé, j'y passe toute la soirée avant d'aller dormir au fond du canot.

Mais l'île est aussi un vaste jardin, où des fleurs sauvages dont je ne connais même pas le nom éclatent en buissons de corolles ouvertes, de pétales roses, blancs, bleus ou jaunes.
 

Dîner sur l'estacade Dîner sur l'estacade

Deux heures du matin : clair de lune. C'est l'étale de marée basse. Le canot s'est posé bien à plat sur la vase. Rien ne bouge, je me rendors.


Mardi 23 juillet | Jeudi 25 juillet


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
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