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avril, Blaye, sous la citadelle —Un
soleil vif succède aux abats
d'eau de la nuit. Bise au bleu poussant
ses cumulus dans un ciel dur. Sur le
fleuve écumes et déferlements,
marée de coefficient 104 qui
noie le port, chuintement du flot déchiré par
les pylônes du futur ponton,
lumière sourde sur les trains
d'onde.
Aujourd'hui étude et réalisation
d'un procédé d'attache pour
les draps, inspiré des pavillons de
la marine : d'un côté une ganse,
de l'autre un cabillot. De la sorte les draps
s'assemblent à la demande comme les
pavillons du grand pavois. Cabillots en buis,
cordage façon chanvre résistant à deux
cents kilos, commis à trois torons
pour recevoir des épissures.
Retour aux questions de fond : l'héritage
des lignées. Que transmettent-elles
? Qu'apprennent des pêcheurs ceux qui
les rencontrent et que vise le projet La
pêche au fil du fleuve ? Au-delà des
connaissances sur la rivière, sur
le poisson, les techniques de pêche,
c'est la manière qu'a le pêcheur
d'être au monde qui mérite d'être
dite, une manière de concevoir le
fleuve, d'être en lien avec son milieu.
La source de ce savoir, propre à celles
et ceux qui vivent du territoire, reste le
territoire lui-même. De là une
représentation vivante du monde, une
attention à ses exigences, toutes
attitudes qui accroissent les chances de
survie, les leurs et à plus long terme
celles de la société. Cette
sagesse aujourd'hui mérite d'être
payée au prix fort, une sagesse dont
disposent peut-être ceux qui vivent
en contact avec l'estuaire et constituent
de ce fait un groupe ressource, un patrimoine
humain. Prise de conscience capable de remettre
en cause les comportements pour peu qu'elle
acquière la force d'un choc culturel.
Mais comment engendrer ce choc ? Pour autant
que le pêcheur témoigne d'une
manière d'être au monde qui
bouscule, sa rencontre peut faire passer
l'homme de la ville du sentiment de se trouver
face à un mode de vie pittoresque,
un produit culturel à consommer, au
saisissement d'être directement concerné par
le risque capital de notre civilisation :
la déchéance du territoire,
la lente destruction de la nature et la perte
des valeurs humaines qui en découlent.
La
recherche menée pour élaborer
l'installation artistique du 18 juin à Talmont
prend sous cet éclairage une dimension élargie,
elle dépasse les enjeux d'un jour
de fête pour se déployer plus
avant. Comment réaliser cette calligraphie
sur draps pour qu'elle mette en branle une
pensée véritablement engagée ?
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