Crépuscule sur Cordouan
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Talmont-sur-Gironde

Une démarche de création artistique au fil des mois
 

14 mars 2005, port de Talmont —Au fond du port, près de la chasse du canal, un bosquet de prunus, rose mordant, prêts à fleurir. Le long du chemin qui ceint la baie, les frênes débourrent, les sureaux lancent des bouquets de feuilles. Première alouette courant dans l’herbe. A la pointe de Cornebrot, sous la falaise, les pêcheries sur leurs pilots, les passerelles de planches courant dans la pente, l’odeur bleue du chêne, clapotis entre les blocs, grappes de fucus, écales d’huîtres crissant sous le pas. Sur le chemin de crête vers Barzan, la jeune vigne dont les rangs courent en tête de falaise, au bord de l’espace estuarien. Dans la brume la côte du Médoc que longe un cargo, l’écho de ses machines. Dans la paroi où nichent les passereaux, la chasse des éperviers, vol nerveux, ailes en fer de faux. La campagne garde ses teintes d’hiver. Au-delà de la presqu’île de Talmont, par-dessus les toits de l’église Sainte-Radegonde, la baie de Meschers, vers le nord la fuite des falaises. Le vent d’altitude pousse des plaques de nuages, étire des cirrus. Le bourg de Talmont, un réseau de petits lieux resserrés dans une coquille, l’ove des murailles.
Comment dire ceci avec des draps ? Le drap rappelle et symbolise les moments constitutifs de l’existence, le lieu où nous sommes conçus, où chaque soir nous retournons dormir et d’où nous renaissons chaque matin, où nous mourrons, le suaire symbolique qui enveloppe le défunt. Le drap est propre à l’homme, il le symbolise, il dit la civilisation. Une ligne de draps sortant du lit du fleuve, marqués par sa vase et se déployant sur la terre dit la ligne qui à travers les espèces et les ères relie le milieu marin à l’homme d’aujourd’hui. C’est aussi la lessive du fleuve, lit géant où fut conçu l’espèce humaine. Certains de ces draps portent trace d’écriture, autre attribut de l’homme. Chemin de vie, ils portent le chant de route, le chant qui soutient la marche sur le chemin de l’évolution, et qui fait pendant aux chants de marins, chants à ramer, chants à virer le guideau... Ces chants de route sont les chants des lignées, ils constituent par fragments la tradition de la lignée, un patrimoine qui se transmet au long des générations, une marque d’identité et d’appartenance, comme des versets psalmodiés qui appris au jeune âge courent sur les lèvres du mourant. Viatique, onde porteuse de l’énergie de vie, marquage sonore du territoire comme le chant des oiseaux, la ritournelle du maigre. Le chant des lignées c’est aussi celui du fleuve, leur commun ancêtre. Les draps deviennent les pages d’un livre sacré.

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde