Crépuscule sur Cordouan
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Talmont-sur-Gironde

Une démarche de création artistique au fil des mois
 
27 février 2005, Talmont —Ciel plein, flocons soufflés par la bise sur la glace du canal. Le rouge-gorge sur les rameaux du tamaris. Sur la vasière, gagnage des tadornes, labours filants dans la brume de neige, sur un piquet le busard aux aguets, serres jaunes, manteau sombre. Quelques instants plus tard il survole la baie, aussitôt attaqué par les mouettes qui le reconduisent à ses labours. La route littorale, la digue, un couloir entre deux espaces, fleuve et vase au sud, labours enneigés au nord, poudre chassée par la bise au creux des sillons. Espaces naturels, espaces de pensée, deux mondes entre lesquels passe le marcheur.
La lignée des pêcheurs, hommes et femmes nés du fleuve, tissés de ses eaux, appartenant à l’espace estuarien, participant de son identité. Patrimoine génétique, psychique, de ceux qui comprennent la langue du fleuve, dialoguent avec lui. Quelle dynamique introduit la modernité ? Constitue-t-elle une rupture, un courant qui détourne le cours des lignées, subvertit leur éthique. Culture enracinée dans un territoire autre, mondialisée, appuyée sur d’autres mythes, dépersonnalisante. L’espace estuarien est-il dépossédé de ses lignées, dépouillé de ses lignes de vie ? Quelle menace la perte de cette éthique fait-elle peser sur l’intégrité biologique, sur les ressources en poisson ? La lignée appuyée sur l’identité du territoire : peut-il y avoir lignée si elle n’est d’abord fondée sur une fidélité au lieu, une identification au terroir, à la langue, à la manière de sentir et de penser ? L’enracinement dans le fleuve, espace mouvant, exige de fortifier la lignée, de développer la solidarité, de renforcer les liaisons entre lignes mitoyennes, et l’enracinement dans l’espace estuarien. A Talmont comment les lieux du village sont-ils reliés à cette appartenance au fleuve ? Lieu des sépultures, de la mémoire des ancêtres, conque de l’église bâtie sur le fleuve, espace de résonance, amplifiant la parole du fleuve, la parole du grand espace, celui qui court de la Gironde aux Pyrénées, le grand delta, terre de vent blanc.
Onze heures, le soleil à travers des grappes de neige, lumière striée, lamée, pensée granulaire, quantique. Sous la falaise pensée tellurique des serpents dragons, minière de la chrétienté. Talmont poste avancé : au-delà le marcheur chevauche le dragon, il se fait penseur d’une pensée qui défait le vieux monde. Aujourd’hui l’église est vide, le grégorien n’est plus écouté, le chant des sirènes s’élève à nouveau, rumeur du vent, du fleuve brisant sous la nef.

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde