Lettres d'estuaires
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Le souffle de l'estuaire

C'est sous Richard l'iode des goémons, la rouille des naissains. C'est la moiteur des vases aux mattes de Valeyrac, dans l'anse de Goulée l'odeur salée des huttes, le marc des écailleurs. En mai le musc des aloses, si violent que l'eau prend leur fumet. Vers Saint-Estèphe à la saison l'aigreur des moûts, et vers Arcins la galantine des îles prises dans l'ambre des vases. À Trompeloup le relent des tombées que le jusant dénude, la pourriture des souches. À Pauillac le baume des carènes qu'on enduit de galipot et de goudron, la fumée des feux de sarments dans l'air du soir, le mur de la pinède. À Cadourne, la buée des mimosas, la moiteur de l'averse, le gui dans le fouillis des saules et par-dessus, jaune et lente, la coque d'un cargo. À Lamarque la résine des cabanes, la saumure des crevettiers, le relent des têtes de poissons qui sèchent sur la berge. Dans le vasard de Beychevelle, un rien d'oiseau mouillé, de cuir et de silex et devant Blaye, le crachin des marais, l'épice des cafés qu'on torréfie. À Saint-Vivien, la fadeur des coulages où pioche une aigrette, l'effluve des bouchots. À Saint-Christoly le fumet des garennes, le bouillon des étangs où pâturent les foulques. Dans la passe de Saintonge, un arôme de noix, de causse et de tabac : c'est le bouquet de la Dordogne qui surnage jusqu'à Mortagne. Et sous Talmont l'accroc des craies, les conches de Meschers. Vers Talais, le suint des chevaux, les hardes qui galopent aux palus de Lilian. Sous la Pointe aux Oiseaux, le remugle des bœufs, l'encens des foins, des tamaris. Aux mattes de Lancelot, l'aigreur d'herbes noyées. Près de Troussas, la bouffée d'un sous-bois levée par le vent d'ouest. À Gauriac, le sudet des Côtes de Bourg, la déchirure d'une bouée dans la bure du fleuve, un soupir sur les eaux. 


© Christian Lippinois –Mai 2000

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde