Lettres d'estuaires
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Décembre, au couchant

dans l'estuaire de la Seine


St-Samson (dessin © Martine Langlois)

Un long chemin mène tout droit au fleuve depuis le bas du pan de craie que domine le phare de St Samson. Il y a des trous d'eau gelée où l'eau a disparu en laissant une fine croûte de glace. J'aime briser la croûte en marchant dessus, ça craque comme une gaufrette ; quand c'est une grande flaque, ça tinte clair comme une vitre qui casse.
Au bord du fleuve, un nordet vif me cueille. Les filets d'eau font la course. Ils se hâtent, s'empêchent, tournoient et s'évanouissent, plongent... resurgissent en ronds plats vite défaits. Quatre heures après la pleine mer, au plus fort du jusant, le fleuve bleu galope d'une harpe muette à l'autre : les ponts (pris dans les lointains rosés, ils s'estompent).
A droite du chemin, une plage : des galets, de la boue sèche sur un gros tuyau rouillé qui barre la plage, des taches de couleurs (plastiques dépolis enchâssés). A gauche, un enrochement découvre et retient des vases bleues immobiles au miroir bombé. Derrière les vases, la prairie quadrillée de clôtures barbelées.
Le vent m'accapare, il me veut tout à lui et me couvre le visage de caresses froides : je ne sens plus rien. A l'orée de la prairie, un aulne peine à s'extirper du buisson qui l'entoure. Une boule de brindilles occupe la fourche la plus haute : un nid délaissé que les feuilles ne cachent plus.


Pont de Normandie (dessin © Martine Langlois)


Derrière le buisson, je me défais de l'emprise du vent. La vie reprend sa délicate musique: le clapotis de l'eau qui court, pressée ; le pépiement des oiseaux qui s'affairent avant la nuit ; le froissement de l'herbe sèche sous la bise.
Le soleil a disparu là-bas derrière les collines, quelque part entre Trouville et Honfleur. Et tandis que les bleus des miroirs humides grisent avant de s'éteindre, de grands oiseaux descendent le fleuve avec le vent. Là-haut, très haut dans le ciel lumineux, ils profitent encore un peu des couleurs du soir avant de venir se cacher dans les hautes herbes du marais.
Avec ce ciel clair et le nordet qui ne mollit pas, c'est encore du gel pour demain ! Et sur le chemin qui passe sous le pont de Tancarville quand on vient de Quillebeuf, des flaques croûtées, il en restera plein à craquer !... comme des gaufrettes.

© Régis Lesage, 16 décembre 2001

Biographie succincte de Régis Lesage

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde