Lettres d'estuaires
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Portraits blayais - Catherine

- I -

Déjà au lycée je sentais qu'elle m'observait de très près. Elle a les yeux très sombres, souvent cachés par de longs cheveux châtains, des lèvres pincées qui hésitent à sourire, et le nez un peu aquilin. Lorsqu'elle me croise devant la mairie et s'aperçoit que mon regard, posé tout droit sur elle, insiste pour la reconnaître, visiblement en attente d'un signe de réponse de sa part, elle s'arrête quand même pour me dire, toujours sans sourire : Bonjour, Monsieur Vréméni.

Cette maigre salutation, je la traduis en la question bien précise : Est-ce qu'on a le droit de se parler comme ça, en dehors des classes ?

- Bonjour ! Pardonnez-moi de n'avoir pas su retenir votre nom.

- C'est Catherine.

- En classe, j'ai toujours été débordé de visages, de noms, d'impressions. Submergé même. Mais votre visage, vous voyez, je ne l'ai pas oublié. Vous êtes pressée ?

Elle ne semble ni flattée ni gênée par l'invitation de m'accompagner au Brazza. Une fois que nous sommes installés, sa curiosité va prendre le dessus. Elle me demande si en Allemagne cela m'arrive d'aller dans des écoles. Elle a du mal à comprendre que je ne suis pas professeur. Puis elle veut savoir où j'habite. Là je sais donner lui une réponse qui lui permet d'enchaîner.

- C'est une belle ville, Düsseldorf ? Vous y êtes né ?

- Non, Düsseldorf ne me paraît pas être une belle ville. Ce qu'il y a de plus beau, c'est le Rhin. C'est à cause de l'Académie des Beaux-Arts que je suis allé là-bas.

- Comment ça ? A votre âge vous êtes toujours étudiant ?

- En quelque sorte oui. Ce n'est que tard dans ma vie que je me suis découvert cette vocation-là.

- Et puis vous avez choisi précisément Düsseldorf ? Pour quelle raison ? Parce que vous aimez Joseph Beuys et toutes ces horreurs-là ? Vous croyez vraiment que ces prétendues œuvres, c'est de l'art ?

- Ces prétendues œuvres, comme vous dites, ont fait réfléchir beaucoup de gens.

- Mais l'art, c'est là pour plaire aux gens, non ? Ce sont les belles couleurs, l'élégance du trait, le savoir-faire. Ou est-ce qu'en Allemagne c'est différent ? Est-ce que vous manquez tellement de goût, chez vous ?

- Donc vous n'étiez pas d'accord sur ce que j'ai dit en classe ?

- Je n'ai pas compris que vous puissiez trouver vraiment belles des choses aussi pouilleuses. Vous vouliez faire de la provocation ? L'imiter justement dans cela, votre fameux Beuys, dans le geste de provoquer ?

- Non, pas vraiment.

- Ou faire de la théorie bizarre, à la façon des questions insensées que vous nous avez posées en classe ?

- Par exemple laquelle ?

- Par exemple si le bleu de la Carte Bleue et le bleu du ciel sont le même bleu ?

- Cela, c'est la théorie. Mais il y a aussi un côté pratique.

- C'est quoi ? Cela consiste à enduire des chaises de graisse ? Ou bien à les envelopper de feutre ?

- Non, pas du tout. Je fais ce que font les prétendus artistes depuis trente mille ou trois cent mille ans. Tracer des lignes. Effacer. Tracer à nouveau.

- Mais ça donne quoi ?

- Cela peut donner des paysages, des intérieurs de maison, des visages.

- Cela veut dire que vous faites aussi des portraits ?

- Bien sûr. Ce sont justement ces choses-là qu'on apprend aux Beaux-Arts.

- Donc votre professeur n'était pas Beuys ? Votre professeur à vous, il s'appelle comment ?

- Schwegler.

- Jamais entendu ce nom-là. Et il vous a enseigné le dessin, le portrait, le nu, les animaux, les statues ? Alors vous sauriez faire mon portrait, par exemple ?

- Je pourrais essayer. Ce serait avec beaucoup de plaisir.

- Malheureusement, là, je n'ai pas le temps.

Effrayée par son propre emballement, elle semble vouloir céder au désir de prendre la fuite, puis hésite. Indécise, elle sourit à l'espace entre moi et la serveuse qui apporte l'addition.

- Je serai très heureux de vous revoir, Catherine.

- Vous ne pourrez pas me joindre.

- Je vais vous attendre à la sortie du lycée. Demain par exemple. On fait comme ça ?

Enfin elle me sourit, toujours indécise : Au revoir.
 
 

- II -


Ses copines me reconnaissent, bien sûr, mais semblent ne pas faire trop de remarques entre elles. Elles se dépêchent pour ne pas rater le bus qui va les ramener. Catherine d'ailleurs ne tient nullement à leur cacher notre rendez-vous puisqu'elle me propose de nous attabler sur la terrasse du 'Petit Port', en face de l'abribus. Je veux lui poser des questions sur sa journée, mais cette fois-ci, c'est elle qui prend les choses en main.

- En classe vous avez dit que vous n'étiez pas encore reconnu ni célèbre.

- Devenir célèbre, cela ne me tente vraiment pas.

- Cela vous le dites par lâcheté probablement. Pour vous donner l'air de mépriser le succès que justement vous n'obtenez pas, malgré tous vos efforts.

- Ce serait quoi, le succès ?

- La gloire, l'argent, être à la télé, être reconnu partout : "Le voilà, le nouveau Picasso !" Tout le monde vous courant après.

- Spasibo.

- Ça veut dire quoi ?

- Ça veut dire "Merci, que Dieu m'en préserve !" en russe.

- N'êtes-vous pas jaloux des peintres qui ont le même âge que vous et qui sont plus célèbres ?

- Franchement, si.

- Eh bien, voilà !

- Le plus souvent je ne suis pas d'accord avec ce qu'ils font.

- C'est-à-dire que vous faites beaucoup mieux et que, au fond, c'est vous qui devriez jouir de leur célébrité.

- La célébrité, je m'en fiche.

- Pourquoi faites-vous ce travail-là ?

- Parce que je ne peux pas m'en empêcher.

- Donc c'est une obsession.

- Pas du tout. C'est tout simplement un penchant pour une profession. Vous, Catherine, vous voulez faire des études de droit.

- Comment vous le savez-vous ?

- Par Diego.

- Et comment se fait-il que vous le connaissez ?

- Peu importe. Si vous voulez vous inscrire en droit, c'est, j'imagine, pour avoir un penchant pour la jurisprudence, pour les problèmes juridiques.

- Ce n'est pas ça du tout. C'est Hervé, le mari de ma mère, qui m'a fait comprendre qu'il faut surtout ne pas se faire payer à l'heure, mais plutôt toucher des droits sur le travail des autres, un gros pourcentage, si possible. Alors on fait gestion, on fait droit, ou l'on se vend.

- Cela veut dire quoi, on se vend ?

- On épouse un nabab, quelqu'un de richissime.

- Et cela vous plairait ?

- Franchement, non.

- Et les études de droit, vous pensez que vous allez aimer ça ?

- Qu'est-ce que cela me fait puisque c'est pour gagner ma vie ? Le travail, c'est toujours dur. C'est normal de ne pas aimer, faut s'y faire. Votre travail, vous l'aimez, vous ?

- Beaucoup. C'est le privilège des gens de notre profession.

- Mais qui se paie dur.

- Comment cela ?

- On dit que les artistes, ce sont des gens bizarres. Qu'ils sont difficiles à vivre !

- Qu'est-ce que vous voulez dire par cela ?

- Qu'ils se prennent tous pour des stars. Qu'ils ne pensent qu'à leur petit travail et à leur petite gloire. D'une façon ou d'une autre, ils sont tous des tarés. Soit des obsédés sexuels, soit des pédés.

- Pourquoi pas les deux à la fois ?

- Ou des alcoolos, des toxicomanes ou des gens qui de temps à autre ont des accès de folie.

- D'où est-ce que vous sortez tout cela ? On vous l'a appris au lycée ?

- J'aime observer les gens.

- Et vous en voyez beaucoup à Blaye, d'artistes pédés, toxicos, obsédés sexuels ?

- Il n'y a pas que vous ici qui soyez artiste.

- Et ma tare à moi, d'après vous, c'est quoi ?

- Pourquoi m'avez-vous proposé de faire mon portrait ? Qu'est-ce qu'il y a là derrière ? Ça vous intéresse, les toutes jeunes filles ?

- Donc, d'après vous, c'est l'obsédé sexuel ? Je peux vous rassurer. Je fais également le portrait de Diego.

- Pourtant il n'est pas beau à voir.

- Son visage m'impressionne, à vrai dire, même plus que le vôtre.

- Si je me mettais à poil devant vous, le trouveriez-vous toujours plus impressionnant ?

- Ne soyez pas trop déçue. Je n'ai pas de projet de séduction à votre égard.

- Le tableau avec mon portrait, vous voulez le garder pour vous ?

- Ce ne sera pas un tableau, ce sera un simple croquis.

- Si vous voulez le garder, est-ce que j'en pourrais faire une photocopie ?

- Vous savez, un croquis, c'est vite fait. Je pourrai en faire plusieurs. Un pour vous, un pour moi. Un troisième pour votre petit ami.

- Vous ne le connaissez pas.

- Le garçon avec qui je vous ai vue l'autre jour sur la terrasse du Brazza, ce n'était pas lui ?

- Jean-Luc ? C'est un copain.

- Vous aviez une façon intense de discuter avec lui. J'avais l'impression que vous étiez en train de vous réconcilier après une bagarre. De toute façon il vous écoutait avec une extrême attention, et vous paraissiez très émue, mais en train de vous calmer. Vous savez, je le connais, Jean-Luc.

- Mais vous connaissez tout le monde, Jacov !

- On m'a également invité au LEP, dans la classe des jeunes qui vont travailler à la centrale nucléaire. J'ai été très surpris.

- Par quoi précisément ?

- De voir que ce sont tous de très beaux garçons. On dirait la fine fleur du Blayais.

- Pourquoi seraient-ils tous des épaves ? Parce qu'ils sont formés pour travailler à la centrale ? Vous autres Allemands, vous n'aimez pas ça, le nucléaire.

- Moi, je n'aime déjà pas le courant électrique.

- Le froid et le noir, cela vous dit ?

- Cinquante pour cent de plus de froid et de noir contre cinquante pour cent en moins de courant électrique, cela me dirait. Cela vous fait quoi, le fait qu'il aille travailler là, dans une centrale atomique ?

- Lui, il en est fier.

- Mais dans le rap qu'il nous a récité, il en dit autre chose.

- Ah bon, il s'est donc produit en classe ? C'est la première fois.

- Il parle des flics qui surveillent. Des comprimés d'iode qu'on leur donne à avaler en cas d'accident.

- On les donne à tout le monde, dans un périmètre de trente kilomètres autour de Braud Saint-Louis, si jamais il y a un pépin. Moi je m'en fous de toutes ces peurs-là.

- Vous voulez toujours que je fasse votre portrait ?

- Mais pour le faire il faut se tutoyer, Jacov.

- Moi je veux bien, Catherine.
 
 

- III -


En guise de préparation à notre séance de travail je procède à toute une série de manœuvres. Avant qu'elle ne vienne j'arpente l'atelier à grands pas. Puis, me mettant à table, je dessine de ma main gauche ma main droite, tout en évitant de regarder le papier. Catherine une fois arrivée et installée dans un fauteuil, je lui récite, dans le texte, un poème de Klujev, sur un ton exalté, parodiant le ton dont la plupart des bardes russes ont tendance à débiter leurs œuvres.

Elle écoute, mais d'un air distrait.

C'est un sujet tout différent qui semble la travailler.

- Est-ce que c'est pareil en Allemagne ? Est-ce que chez vous aussi les hommes se font mépriser par les femmes, à tout prix ?

- Tu crois qu'en France c'est comme ça ?

- Chez nous, c'est comme ça, à la maison.

- Tu veux dire que ta mère méprise ton père ?

- Diego, je ne sais pas. Il n'est pas là. C'est un raté, mais au moins, lui, il a choisi son chemin. Sa catastrophe, il la vit tout seul. C'est bien la sienne.

- Alors qui méprise qui ?

- C'est Hervé qu'elle méprise. Tu sais, Niquou est toujours belle femme. Elle fait tout pour se faire désirer. Elle se maquille, elle va chez l'esthéticienne, le coiffeur, fait sa gym. Hervé, il marche à fond là-dessus. Et plus il la désire, plus elle le méprise. Je me demande s'il se fait piétiner pendant l'amour. Piétiner, ligoter, cravacher, cracher dessus, je ne sais pas quoi encore. Il lui donne tout : les bijoux, la grosse voiture, les fourrures. Tout passe par le fric avec lui.

- Est-ce qu'il y quelqu'un d'autre ?

- Il y a le Charmian.

- C'est qui ?

- C'est son bateau, à Bordeaux. Tout près de votre base sous-marine.

- Comment la nôtre ?

- C'est quand même vous les nazis qui l'avez construite pendant la guerre, non ? Le Charmian, c'est sa façon de s'en sortir quand même, un peu.

- Mais il n'y pas d'autre homme ?

- Si Niquou a un amant ? Non, ce n'est pas du tout ça.

- Comment toi tu peux le savoir, Catherine ?

- C'est que Niquou n'aime pas les hommes. Elle les déteste et au fond, elle en a peur. Heureusement je n'ai pas eu de frère.

- Et toi, Catherine ? Elle t'aime bien ?

- Nous deux, on joue à toutes sortes de jeux. Le jeu 'mère et fille', on en a abusé ; puis il y eu le jeu 'les deux copines', le jeu 'princesses rivales', le jeu 'femmes solidaires' et je ne sais quoi encore. Hervé, parfois on se met à le mépriser toutes les deux ensemble. Mais parfois il me fait pitié. Alors j'arrête de le mépriser, un peu.

- Comment tu fais ? Tu lui souris un peu plus ? Tu te maquilles pour lui ?

- Je ne me maquille pour personne. Si je mets du fard, c'est juste pour couvrir mes boutons.

- Alors comment tu fais ?

- Je me laisse emmener en bateau. Ou j'accepte quand il veut m'offrir des voyages. C'est comme ça que j'ai pu partir aux Caraïbes, l'année dernière, avec Maïté.

- Tu en profites, donc.

- Et pourquoi pas ?

- Et ta mère, Niquou, tu ne la méprises jamais ?

- Cela dépend des journées. Parfois elle me paraît douce comme une pomme ou comme le printemps. Je me dis qu'elle a bien fait de choisir le onze mai pour me mettre au monde. Je m'attendris là-dessus.

- Et Jean-Luc, tu l'aimes bien ?

- Cela dépend. Il faut avoir un regard froid sur les gens. Il faut ne pas être complaisant pour qu'ils se reconnaissent pour ce qu'ils sont vraiment. Surtout ceux qui cherchent à tout prix à être aimés, entourés partout d'une bulle d'affection et de soutien.

- Lui, il est comme ça ?

- Lui, il est trop fier pour l'avouer. Évidemment, avec son rap, il se croit hors du commun. Une exception, quoi. Et toi, Jacov ? Tu te fais mépriser par les nanas de Düsseldorf ? Tu adores ça ?

- Le mépris m'intéresse, et même beaucoup, dans ma vie professionnelle, mais pas tellement dans ma vie privée.

- Tu es marié ou non ?

- On a divorcé.

- Mais tu as conservé la photo de ta femme. N'est-ce pas elle, là, sur l'étagère ?

- Non, ce n'est pas elle.

- Et ce garçon sur la photo, c'est ton fils ?

- Non. Je n'ai pas d'enfant.

Je commence à travailler en silence, affichant une concentration intense pour échapper à son interrogatoire.

Pendant une demi-heure elle réussit à ne presque pas bouger. Dans son buste et autour de son nez il n'y a que le très léger va-et-vient de sa respiration. Prise dans des rêveries, elle ne semble pas trop s'ennuyer. Moi cependant je n'arrive pas vraiment à capter ses traits, à vraiment passer de l'autre côté, au court-circuit entre l'œil et la main qui fait vibrer le tracé. Frustré, je m'arrête en disant que je n'ai pas pu finir. A ma surprise, elle ne se montre pas curieuse du résultat. Par contre elle me demande la traduction du poème russe que je lui avais récité en début de séance. J'essaie de faire de mon mieux, mais ma tentative ne dépasse pas le stade de bégaiement.

Toujours intriguée, Catherine me demande des renseignements sur Kitesh, dont Klujev parle dans la première strophe du poème. Je lui explique que c'est une ville symbole que Dieu a rendue invisible aux yeux des Tartares. Que, pour les croyants comme Klujev l'était, elle reste intacte et impérissable, enfouie dans les flots du lac Svetlojar.

Ça lui rappelle, dit-elle, l'histoire de Soulac.

Moi, j'en reste étonné. Est-ce qu'il y a jamais eu des Tartares en Gironde ?

- Il y a pourtant eu les Vikings, les Goths, les Normands, les Anglais, les Allemands.

- Mais, en fait, jamais les Tartares.

- Les Tartares et les Allemands, c'est un peu pareil, non ?

Puisque là, je ne me fâche pas, elle revient, pour me taquiner, sur notre sujet de discussion de l'autre jour.

- Fonder un parti politique pour les animaux, d'après-toi, ça sert à quoi ? Tu crois que c'est une bonne idée, Jacov ?

- Je pensais que Beuys ne te disait rien et que même tu le détestais.

- Comment il aurait voulu amener les bestiaux à voter ?

- Tu crois que les animaux n'arrivent pas à s'exprimer ?

- Bien sûr ils s'expriment. Ils grognent, ils remuent la queue ou les oreilles, il leur arrive même de pleurer. Par contre ils auraient beaucoup de mal à rire ou à voter.

- Dans les abattoirs par exemple, Catherine, tu crois qu'ils ne votent pas ?

- Pour quel parti, quel candidat ?

- Pour la vie, contre la mort.

- Veux-tu que je m'attendrisse sur leur sort ? C'est ça ton message ? Nous sensibiliser au sort du bifteck dans notre assiette ? Là, en France, malgré la vache folle, tu auras du mal, Jacov, je t'assure.

- Toi, future étudiante en droit, est-ce que tu crois que cela est juste que le vote de tous ces animaux, on ne le considère pas, jamais, pas même une seule fois dans des millions de cas ?

- C'est dans l'ordre des choses. Nous, on est les plus forts. Mets-moi dans un bassin à crocodiles, et bien je vais voter pour la vie, mais ce vote-la, même hurlé, les bonnes bêtes ne vont pas le respecter.

- Et que nous, les humains, on se conduise comme les crocodiles dans leur bassin, cela te paraît normal ?

- Nous, on a une salle à manger. Des fourchettes, des couteaux et des nappes blanches.

- Parce que la nappe rouge, on la laisse aux charcutiers, aux dépeceurs et aux bouchers.

- Ils sont payés pour cela. Ils faut bien qu'ils vivent. Pour vivre, il faut parfois se salir les mains.

- Donc tu n'as pas l'impression qu'il faudrait appeler la police pour faire stopper tout cela ?

- Ça c'est encore une idée d'Allemand, ça. C'est vous qui n'avez pas appelé la police lorsqu'il était temps, mais vraiment temps, et là, il ne s'agissait pas d'animaux. Que vous en restez complexés, cela se comprend. Ce n'est pourtant pas une raison pour venir embêter nous autres.

- Tu crois que cela ne peut pas se comparer, les hommes et les animaux et ce qu'on leur fait, respectivement ?

- Justement, cela ne peut pas se comparer, mais pas du tout. Il ne faut pas rêver.

- Il faut quoi alors ?

- Il faut survivre. Pour survivre il faut lutter. Déterminer qui est le plus fort et qui est le plus faible.

Je me remets au travail. On reste silencieux pendant une autre demi-heure. Puis je lui dis tout-à-coup :

- Tu sais, Catherine, il y a un remède contre le mépris. C'est de s'imaginer que la personne qu'on méprise est en train de mourir ou qu'elle est déjà morte. Qu'elle aussi est Louis XIV. Qu'on ne voit que la surface des gens et qu'ils sont tous actionnaires de l'infini.

- C'est un remède très abstrait.

- Au fond pas tellement. Il faut seulement un nom à cette partie non méprisable, une sorte de titre de noblesse.

- Ton vrai nom, par exemple, c'est quoi ?

- De vrai nom, il n'y en a pas.

- Ta femme t'appelait comment ?

- Elle m'a appelé par plusieurs noms, selon son humeur, selon l'heure de la journée ou le temps qu'il faisait. C'était selon.

- C'est peut-être à cause de cela que vous vous êtes séparés.

- Non, pas du tout. Un seul nom, cela ne suffit à personne.

- Je suis bien contente de m'appeler Saindoux. C'est le nom de mon grand-père et celui de ma mère.

- Ta mère, elle a encore bien d'autres noms, mais tu les ignores, et elle aussi, probablement.

- Tu crois qu'on a un nom secret, un nom véritable ? Tu y crois comme Diego ?

- Donc d'après toi je suis fou aussi ?

- Il n'est pas fou, lui. C'est un raté, et puis c'est tout. Comment cela se fait-il que tu le connaisses ?

- Je l'ai pris en stop au bord de la route, près de Saint-André de Cubzac. Il était apparemment très content de monter dans la voiture, mais il s'est avéré n'être pas du tout causeur. J'ai donc remis la radio. A trois kilomètres de Plassac j'ai vu quelque chose en plein milieu de la route. J'ai d'abord pensé à un animal écrasé. Mais non. C'était un oiseau bien vivant et qui se tenait tout droit. Avec les yeux tournés vers la voiture, il nous regardait venir sans broncher. Roulant à cent à l'heure, avec une autre voiture derrière nous, je ne pouvais que ralentir, mais non pas m'arrêter.

- Qu'est-ce qu'il a dit, Diego ?

- Rien. Il a sifflé, comme quelqu'un qui est très surpris. Il n'y a pas eu de choc, pas de heurt, rien. Dans le rétroviseur j'ai vu que l'oiseau était resté debout, pour tout de suite après être englouti par la masse noire de la voiture qui suivait la nôtre. Diego, enveloppé dans son poncho, ne soufflait mot. J'ai hésité un bon moment. Puis c'est moi qui ai dit : Il faut faire demi-tour.

- Tu as hésité pourquoi ?

- J'avais peur que l'oiseau ne soit blessé. Peur de voir son sang. Peur surtout de peut-être avoir à le tuer pour ne pas le faire souffrir plus longtemps. Il était petit pour un faucon.

- Donc c'était un faucon ?

- C'est Diego qui, après, me l'a dit. J'ai garé la voiture au bord de la route, avec les feux de détresse allumés. Plusieurs voitures entre-temps lui étaient passées dessus. Impassible, collé à la couche de bitume, il semblait ne pas avoir bougé d'un seul centimètre. Au bruit des portières qui claquèrent il se résolut enfin à battre des ailes. Indolent ou engourdi, il s'est élevé dans l'air. Mais ce n'était que pour se percher tout près sur une silhouette d'homme, toute noire, à faire peur.

- Tu sais, en Gironde il y en a beaucoup au bord de la route. C'est toujours en commémoration des victimes d'accident. Parce que les gens vont trop vite.

- L'oiseau nous guettait du haut de ce contour de tête de mort. Diego m'a fait signe de rester en arrière. Lui, il s'est avancé. J'ai eu l'impression qu'ils se parlaient. Et aussi l'impression que l'oiseau était seul, trop éloigné des siens. Qu'il ne les retrouverait jamais plus. Ils se sont regardés, immobiles et en même temps, à une très grande vitesse. L'oiseau était très fatigué, peut-être malade. Diego n'a pas insisté. Il y a eu le vent qui s'est engouffré dans le trou qu'a fait dans l'air le passage d'un gros camion, et là Diego a fait comme un saut en arrière. Il s'est frotté le dos et les épaules. Il m'a rejoint. On a repris la route. J'allais vite, à la vitesse qu'il fallait. Tu comptes le revoir, ton père ?

- Je ne veux pas en parler.

- Tu as du mal à le comprendre. Il t'aime beaucoup, à sa façon.

- A sa façon ? Tu veux dire de loin ? De très très loin ?

Elle ne me parle plus, se renfermant dans un silence obstiné. Pourtant elle hésite à s'en aller. Je lui demande un dernier quart d'heure. Elle semble trop irrésolue pour exprimer un refus.

Cette fois-ci, mon crayon réussit à donner un écho bien précis à ses traits, mais non pas à capter ce que je sens couver derrière la surface de son visage, ce qui s'y tient aux aguets, n'effleurant la surface que par moments. C'est vrai que je crains l'intimité parfois incandescente que présuppose la chasse à ces moments de lucidité bien au-delà du quotidien.

Resurgie de son engourdissement, elle fait peser un regard scrutateur sur la feuille sur laquelle ses traits ne sont, après tout, que très vaguement reconnaissables. Elle constate, à juste titre, que j'ai triché sur les yeux, sur le contour de ses joues, sur quelques boutons autour de sa bouche que le fard n'arrive pas à couvrir entièrement. Elle ne parle même plus de photocopie. Par contre elle me demande de lui montrer les œuvres que je suis censé avoir créées pendant mon séjour dans la citadelle, et que dans deux jours devrait montrer mon exposition au Couvent des Minimes. Ce que j'ai à lui montrer ne manque pas de l'étonner.

- Le vernissage, ce sera quoi alors, s'il n'y a pas d'œuvres ? S'il n'y que des toiles vides ?

- Comment vides ?

Je lui montre ici et là quelques traits, des gris ou des blancs.

- Ce ne sont pas des paysages, cela. Ils vont dire que c'est de la fiente d'oiseau.

- Ce n'est pas grave. Ce sont des esquisses de lettres. De lettres qui sont les premières dans des débuts de poème. Des esquisses d'initiales.

- Mais ce n'est pas du tout de la calligraphie. Et pour les prétendus poèmes, tu crois que les gens pourront deviner ? Tout ça, ils vont dire que ce n'est rien !

Je lui dis qu'au fond elle a raison. Que je n'ai rien à exposer. Sauf des choses qui risquent de provoquer une forte frustration chez les spectateurs. Ayant l'impression que l'on se moque d'eux, ils vont éprouver une indignation qui, à la rigueur, risque de se traduire par des coups. Ils vont dire que ce n'est pas la tâche d'un peintre de tout simplement salir des toiles ou de les laisser vides tout court. Ce n'est pas pour ça et pour trois rendez-vous avec des élèves qu'on le loge et qu'on lui donne à manger.

- Et ce raisonnement, tu vois, Catherine, je l'accepte. Je n'ai rien fait, rien produit qui rentre dans leurs catégories d'œuvre. Je suis donc d'accord pour essuyer leurs reproches. Tout en insistant que j'ai quand même des choses à leur montrer.

- Et quoi donc ?

- Mon incertitude. Mon manque de savoir-faire. Et mon courage de m'en servir en tant qu'instruments.

- Ils ne vont pas comprendre. Moi, je ne comprends pas.

Je finis par lui demander un autre rendez-vous pour achever son portrait. Ses yeux évitent les miens quand elle dit non. Son portrait, cela ne l'intéresse plus.

Elle s'en va, me laissant, malgré tout, son sourire et la promesse de venir me revoir avant mon départ.
 
 

- IV -


Là, on se voit donc pour la dernière fois. La malle a déjà avalé mes affaires pour, bien repue, se refermer sur elles. Il ne me reste même plus de café pour en offrir à Catherine. Mais elle doit sentir que je suis content de sa venue.

Je lui explique que lors du vernissage il n'y pas du tout eu de scandale parce que personne n'est venu. Il n'y avait ni adjoint au maire ni professeur de lycée ni personne d'autre. Ce jour-là il y avait le Téléthon et tout le monde était occupé. Il n'y avait que Diego, mais lui, il avait bu. Je lui explique que ce manque d'intérêt ne me fait absolument rien. Beaucoup moins de toute façon qu'un éventuel refus de sa part de m'accompagner pour une dernière promenade, dans la citadelle.

- Je regrette que cela ce soit passé comme cela, Jacov. Mais moi je ne pourrai pas te consoler.

- Tu me sembles beaucoup plus triste que moi, Catherine.

- Mais non, je suis comme ça tout le temps.

- C'est vrai que tu ne souris pas souvent.

- En classe, tu nous avais expliqué qu'on peut jouer avec sa tristesse, tu te rappelles ? Ou avec la douleur. Même avec la haine. Madame Lapoumerolie n'avait pas du tout aimé cela.

- Oui, je sais. La haine, cela passe pour quelque chose de très sérieux, en France. Remarque, en Allemagne c'est pareil.

Nous nous sommes approchés de la basse muraille en pierre de taille qui borde le parking devant l'Hôtel de la Citadelle, face au fleuve. Catherine scrute le sol pour y choisir un petit caillou, le regarder de très près, le frotter quelque peu entre ses doigts et ensuite lui adresser la parole.

- Alors on va te baptiser C.T.

Mais ce n'est pas le caillou qui lui répond, c'est moi.

- C.T., cela veut dire quoi ?

- Catherine Triste, évidemment. Ou TdC. Tristesse de Catherine. Au revoir, TdC !

De toutes ses forces elle jette le caillou par-dessus la muraille. La courbe de sa chute finit en bas, tout près de la rive dans les tourbillonnements confus des eaux saumâtres qui le happent avec un bruit sourd.

Elle l'a regardé disparaître tout en restant immobile, avec sa main droite tout aussi crispée que ses lèvres.

- Tu n'as pas l'air soulagée.

- Et pourquoi serais-je soulagée ?

- Peut-être que tu as mal choisi ta pierre. Il faut toujours lui demander si elle a de la place pour loger les soucis.

- En fait ce n'est pas un caillou qui pourrait me servir. Il me faudrait un pavé. Un pavé gros comme ça.

- Pour y mettre quel fardeau, Catherine ?

- Pour le jeter dans la gueule d'Hervé. Sur sa grosse Jaguar astiquée. Sur ma belle maman zombie. Sur ses pots de fard et ses produits de maquillage.

- Tu la détestes à ce point ?

- Non, je l'aime. Je suis conne à ce point ! Et encore plus conne de te le dire. Me voilà à poil devant toi. Qui t'a permis de me poser toutes ces questions ?

- Qui t'a contrainte d'y répondre ?

- Que je pleure, voilà. C'est ça que tu as voulu !

- J'ai eu tort, Catherine. La tristesse, cela ne se jette pas à l'eau. Il faut la respecter, et pour la respecter, il faut la sentir, tout le temps que ça dure. Je vais te dire au revoir et te laisser, Catherine.

- Oui, laisse-moi tranquille, enfin, veux-tu.

Le geste de sa main qui devait me renvoyer soudain me fait soupçonner les faits :

- C'est à cause de ton père ? C'est à cause de Diego ?

Elle préfère ne pas m'accorder de réponse.

- Il est revenu quand ?

- Avant-hier.

Ses yeux semblent chercher dans toutes les directions une issue qu'elle n'arrive pourtant pas à discerner ni dans le ciel neutre et silencieux qui surplombe l'estuaire, ni sur le sol poussiéreux ni dans les volets fermés de l'hôtel.

- Il s'est pointé à la maison comme un mendiant. Lui, vraiment, il n'a pas honte. C'est un chien. On lui offre un chenil et des aumônes, et il va te lécher les semelles. Il n'y a plus une seule goutte de dignité en lui. J'ai toujours été heureuse de penser que mon père au moins ce n'était pas Hervé. Tout autre plutôt que ce con-là. Et voilà que Diego se révèle être beaucoup pire. Il va devenir son larbin. Hervé va lui faire astiquer sa bagnole et le faire travailler son sur bateau.

- Peut-être que c'est son unique moyen pour rester près de toi.

- Tant pis. Parce que je vais m'en aller.

- Et tu vas aller où ?

- A Bordeaux. A Paris. Au Paraguay s'il faut. Enfin, peu importe.

- Pour faire des études de droit à Asunciòn ?

- Des études de droit je m'en fiche, mais complètement. Le droit, c'est tout aussi pourri que tous ceux qui s'en servent pour protéger leur pourriture, justement. Ce sont tous des salauds, tous pareils.

- Et tu crois que la vie leur laisse le choix de faire autrement ? Manger leur bifteck et protéger par des moyens pourris ce qu'il leur reste de pureté ?

- Je n'en sais rien. De toute façon, toi, tu es dans le coup. Tu te fais baiser. Tu n'es pas un artiste. Tu es professeur plus qu'à moitié. Et tu manges dans la main de monsieur le maire. Un chenil et de quoi bouffer, et puis d'accord, c'est bon, c'est pris, on y va. Tu es un minable, comme Diego, et en plus, tu es allemand, donc deux fois minable, avec ta sale moustache et ta bedaine de bière et les conneries que tu racontes. Comme quoi la tristesse, c'est un jouet. Et la colère ! Et la culpabilité ! Et les horreurs que vous avez faites, vous autres. Juste bonnes à jouer avec ! Et qu'au lieu de réfléchir on se mette à discuter avec les arbres ! Toutes ces conneries-là ! Il ne faut quand même pas lâcher des fous forcenés sur des élèves, il faut se plaindre au proviseur ! Des mecs comme toi, il faudrait les amener au zoo pour les y mettre dans des cages ! Ou bien dans des ateliers comme ici, où tout le monde se fout de ta gueule, c'est pareil.

- Alors on revient sur le mépris.

- Mais, oui, c'est ça le gros truc. C'est la seule bonne idée que tu nous as donnée. Fonder une université du mépris. Je veux bien m'y inscrire.

- Mais tu as déjà ton diplôme, Catherine.

- On n'est jamais assez méprisé dans la vie.

- Attention, Catherine. Ne te fais pas trop de mal.

- Et pourquoi ne me ferais-je pas mal, et même très mal ? On est tous des affreux. On est tous détestables, tous d'une connerie pas possible.

- Tu n'aimes vraiment personne ?

- Mais si. La nuit c'est plus facile. Parce qu'on se fait baiser.

- Pourquoi tu te veux si cynique, Catherine ?

- Parce que tu m'emmerdes avec tes questions.

- Et si je te promets de ne plus t'en poser ?

- Je t'emmerde toujours et je me fais toujours baiser.

- Tu me fais rire, Catherine.

- Et pourquoi tu te marres, là justement ?

- Parce que les choses tragiques, ça me fait toujours rire. C'est ma façon de me protéger.

- Tu sais, je n'aime pas du tout les gens qui veulent me comprendre. Qui à force de comprendre voudraient me bouffer toute crue. Ça me dégoûte.

- Rassure-toi. Je ne te comprends pas du tout.

- Alors on va chacun de son côté et on se laisse tranquille.

Là vraiment, elle veut s'en aller. Il faut lui crier :

- Catherine !

- Fous-moi la paix !

Elle s'en va en courant. Je m'aperçois qu'elle porte des talons hauts qui risquent de la faire tomber sur les pavés. Elle semble l'avoir ressenti elle-même car sa course se ralentit.

- Et ton sac, Catherine ? Tu l'as laissé dans l'atelier !

Elle retourne sur ses pas, d'abord méfiante, comme si elle était inquiète du résultat qu'a produit sur moi l'agressivité de ses propos.

Elle m'accompagne en silence à travers la rue du 144ème régiment d'infanterie jusqu'à la porte de la salle qui pendant presque deux mois a abrité mon travail. Catherine semble essoufflée par les effets de sa crise.

- C'est souvent comme ça. Quand je suis triste ça risque de tourner en colère. Là, je ne suis pas très juste, forcément.

- Cela ne me fait rien, Catherine.

- Je sais. Tu es actionnaire de l'infini, rien ne peut te blesser.

A ma surprise elle s'installe une dernière fois dans le fauteuil.

- Je peux fumer ? Avant que tu ne t'en ailles, Jacov, je voudrais te poser une question, mais vraiment une question personnelle.

- Vas-y, je t'en prie.

- Ton père, tu l'aimes ?

- Oui.

- Tu l'aimes beaucoup ?

- Oui, beaucoup.

- Est-ce que tu lui as jamais craché au visage ?

- Non, jamais.

- Ni jamais eu envie de le faire ?

- Non, jamais.

- Il ne t'a jamais blessé ?

- Non, jamais jamais.

- Comment cela se fait ?

- Parce que je ne l'ai jamais vu.

- Comment peux-tu l'aimer, et même beaucoup, si tu ne l'as jamais vu ?

- C'est pour me faire du bien.

- Donc, c'est un amour égoïste ?

- Non, c'est un amour réfléchi. Cracher au visage de son père, c'est un amour irréfléchi.

- Jamais de la vie je ne pourrai l'embrasser, Diego. Il veut bosser pour Hervé pour pouvoir me rembourser. J'aurais préféré qu'il soit mort.

- Mais tu ne vas quand même pas le tuer, Catherine.

- Peut-être que c'est déjà fait.

- Comment cela ? Explique-toi, s'il te plaît.

- Est-ce que tu crois qu'on a déjà vécu, Jacov ?

- Demande à Diego. Je crois que c'est lui qui aime parler de ces choses-là.

- Lui, il croit m'avoir rencontrée je ne sais quand à Iguaz, dans la contrée des trois fleuves. Il croit qu'on a été amants. Mais si, déjà là, on ne s'est rencontré que pour se déchirer, pour nous se tuer, pour se faire mal et pour se quitter, à quoi bon revenir, dis-moi, Jacov, à quoi bon ?

- Peut-être pour payer ses dettes. Peut-être pour s'offrir des fleurs. Peut-être pour se pardonner ou pour se tuer à nouveau.

- Tu sais, je n'y crois pas, mais pas du tout.

- Et Jean-Luc, il y croit ?

- Lui, il ne croit qu'à son sexe et à Herk Cool.

- C'est qui, Herk Cool ?

- Pour le rap, c'est son grand modèle.

- C'est très pratique d'en avoir, de grands modèles. Des gens qu'on n'arrive pas à mépriser.

- Merci pour la leçon de morale. Non, je ne me moque pas, vraiment merci. Et c'est dommage pour ton exposition. Là, je ne peux pas te consoler. Mais je t'embrasse quand même et te dis au revoir. Au revoir, Jacov. Tu nous as bien fait rire.
 

© Simon Werle, 2001

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