Crépuscule sur Cordouan
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UN « ENTRE TROIS »

L’Antre de l’Entre


L’antre de l’entre. 
De quel entre parle-t-on ?

- dans l’espace qui sépare
- dans le temps qui sépare
- à égale distance de
- au milieu de
- en formant un cercle fermé
- réciprocité
- ou bien la comparaison 

Tous ces sens nous concernent à des degrés divers.
Je vais donc évoquer :

- l’entre les œuvres
- et ce qui se passe entre le spectateur et les objets de l’art que par commodité je vais appeler œuvres.


Pour commencer je vais faire une présentation succincte de mon travail, nous pourrons y revenir ultérieurement.

Présentation : « Les élémentaires 1997-1999 »

L’installation que je présente ici s’intitule « Les Élémentaires 1997-1999 ». Elle relate d’éléments comme l’eau, l’air, la couleur, les minéraux et la parole ; cette liste n’est pas exhaustive, il manque par exemple les végétaux, le feu, etc…C’est un choix d’éléments de la nature que nous côtoyons chaque jour, et que j’ai élevé au rang d’élémentaires comme d’impossibles reliques archéologiques. Il m’est insupportable d’imaginer leur transformation, voire leur disparition.

Nous relions ces éléments au monde par des espaces intermédiaires, parfois restreints, car ce sont des lieux de passage ténus où se situe l’emprise d’une réalité invisible sur les êtres et les choses qui opère des déplacements infimes mais significatifs à tous les niveaux d’organisation de notre vie.
Et quelque soit le champ disciplinaire –l’art pour ce qui nous concerne –la plasticité, car c’est bien de cela dont il est question ici, est une propriété inhérente de la matière . Elle s’observe dans et par un cerveau qui pense dans un monde dont la dynamique évolutive est foncièrement plastique. C’est-à-dire dont le comportement global est autocohérent et hautement interactif. On retrouvera cette idée d’interactivité entre les êtres et les choses tout au long de mon exposé car je pense qu’on ne peut être qu’associés à la complexité du réel.

Ces déplacements infimes parfois imperceptibles, forment l’entre, ils correspondent à des temps de création et d’actualisation corrélativement aux environnements (naturel, culturel, économico - socio - politique). 

Il s’agit donc de créer une dynamique dans cette approche du réel qui n’est pas extérieur à l’observateur, ou il n’y a plus coupure entre le sujet et l’objet et j’ajouterais ou il n’y a plus coupure entre le spectateur et l’œuvre.

Le lieu même de l’expérience plastique va se situer dans l’entre.

Dans un premier temps ( au niveau de la création), l’entre consiste à étudier la relation interactive entre l’intuition et l’œuvre à partir du vécu de l’artiste en symbiose avec son environnement, le vécu étant compris comme matériau.
 
 

L’Entre les œuvres : monstration

Lorsque nous avons fait le choix des œuvres, peintures, sculptures, structures plastiques, notre souci fut la mise en œuvre de cet entre que nous devions nécessairement faire passer par la monstration (l’acte de montrer), qui n’est pas un acte vain ; monstration vient de démonstration, donc une opération mentale pour établir une réalité, en l’occurrence ici, celle de l’entre.
Naturellement pour cela, nous avons recherché l’harmonie entre ces trois types d’œuvres, différents tant au niveau de leur forme que de leur conception et de leur contenu, trois attitudes distinctes, tout en travaillant à la même époque (n’est-ce pas le propre du post-modernisme). 
Pour qu’il y ait harmonie (en grec le sens premier est l’assemblage, suggérant la diversité), l’exposition se devait d’apparaître unique dans sa globalité tout en conservant l’identité de chaque œuvre mais comme si elles se nécessitaient réciproquement.
C’est ce que j’appelle l’Antre de l’Entre.

Cette tri-unité se retrouve fréquemment dans notre fonctionnement quotidien, par exemple la création implique l’acte de créer donc un créateur puis la trace de cette création qu’est l’objet, créature animée ou inanimée. (création –créateur –créature).

Le nombre d’or

Elle se retrouve aussi dans la section d’or dont l’intérêt est sa fonction de code . Comment ne pas l’évoquer ici, c’est le plus bel exemple de dissymétrie harmonique qui soit. Voilà comment Vitruve, architecte romain décrit un siècle avant J.C., LA SECTON DORÉE « Pour qu’un tout partagé en deux parties égales paraisse beau, il doit y avoir entre la grande partie et la petite, le même rapport qu’entre le tout et la grande » .
Le nombre d’or ou le point d’or est égal à 1,618.

Les trois éléments nécessaires pour le calculer sont :
     - le tout
     - la grande partie
     - la petite partie

L’un est la somme des deux autres. C’est la condition du beau.
Ces proportions sont pratiquement toujours utilisées de manière inconsciente, beaucoup d’artistes placent le centre d’intérêt de leur œuvre au point d’or, involontairement (référence aux œuvres de Fagniez). 

Un autre exemple de code est celui de la porte d’harmonie, ainsi nommée par Paul Sérusier (membre des Nabis à la fin du XIXe siècle), qui consiste à mettre en valeur la zone qui entoure le centre d’un carré, ce qui donne un rectangle. Ce rectangle est devenu un format très courant, adopté par tout le monde : cartes postales, le format 21 x 29,7 - papier machine.

C’est par analogie, ce que nous avons tenté de faire, le code étant  l’harmonisation, en passant par trois rythmes aussi proches qu’éloignés les uns des autres et que l’on pourrait préciser de la façon suivante :

- le miroir pour la peinture de Fagniez, scarifiée, travail de recouvrement de papier, de couleur…

- le style pour les sculptures de Dall’Anese où l’on sent vivre les entrelacs sous la peau du bois ou du fer ;
 

- le corps humain pour les structures (PPL), à ce propos le psychanalyste Guy ROSOLATO écrit dans « Essais sur le symbolique » :  La représentation spatiale que la sculpture expose avec la plus grande fréquence est bien le corps humain. Phrase que je m’approprie et détourne en la sortant de son contexte. Chaque œuvre ne constitue-t-elle pas un autoportrait ?


 

Alors pourquoi montrer sinon pour faire partager quelque chose ou pour faire passer un message
Comment le faire passer autrement qu’en montrant ce que tout le monde connaît.

Les exemples que je viens de citer, sont ni plus ni moins des codes. L’entre est constitué de codes, ce sont eux qui permettent la communication.
 
 

L’entre le spectateur et l’œuvre : communication

Il semble nécessaire de trouver un code visuel et non d’utiliser un langage auto-référencé, qui rend hermétique toute relation à l’œuvre et supprime par là même la notion d’entre.
Ce qui implique que, si l’on obstrue l’entre, il ne peut y avoir communication.

Pour ce qui concerne mon installation, j’ai choisi le code muséal par le biais de formes et de matériaux autonomes par leurs propriétés qui suffisent à suggérer la conservation et la protection des éléments.

Ce qui ne veut pas dire qu’on entre immédiatement en relation avec l’œuvre. Un temps de réflexion, de prise de données est nécessaire pour que les connaissances du spectateur s’organisent en fonction de son propre vécu, afin de trouver des significations qui répondent au premier attrait, au premier élan à la fois perceptif et affectif . Il devient à son tour créateur d’un nouvel espace de réflexion.

Si ce processus de travail fonctionne en interactivité opérante de l’observateur « rétinien » à l’observateur sensitif et actif c’est-à-dire qui crée sa propre œuvre alors l’entre existe bien (entre le spectateur et l’œuvre) mais si ce n’est pas le cas les oeuvres qui en résultent ne sont plus qu’un épiphénomène de la création. 
Dire que l’entre existe bien, sous-entend que l’artiste ne crée pas exclusivement de manière « thérapeutique », certes le mot est sûrement un peu fort.

Dès l’instant ou un élan existe, il y a communication entre l’œuvre et le spectateur qui va essayer de l’identifier. Tout un réseau de projections, réflexions, interprétations parfois très éloigné des préoccupations de l’artiste, de réflexions, va s’établir à l’aide et de codes mis en place par l’artiste qui vont permettre au spectateur de trouver le sens de l’œuvre et par là même se reconnaître, sans pour autant découvrir le secret ou (et) l’énigme présente dans l’œuvre.
L’œuvre au moment de sa découverte est un micro-monde et dans un deuxième temps une multiplicité de connexions apparaissent.

L’entre dans ce cas, passe par la communication qui se fait par la forme, le contenant mais ce qui compte le plus et qui est de l’ordre du secret c’est le contenu. (Nietzche)

S’exposer et exposer entraîne, dans l’ordre, l’émotion puis le questionnement chez le spectateur qui devient alors acteur, ce qui signifie, toutes proportions gardées,  agir  sur les :

- forme de pensée
- forme de parole (concrétisation de la pensée)
- formes de vie (présence au monde, c’est-à-dire transformation, façonnage du monde qui nous entoure, jamais achevé, on retrouve la plasticité).
Conclusion

 Si on résume, on peut sans risques avancer que trois étapes sont indispensables à la viabilité de l’entre concernant une exposition d’arts plastiques:

- monstration (qui comprend la recherche d’harmonie) 
- communication ( nécessité de travailler en dehors des conventions et avec des codes) 
- plasticité (dialogue des œuvres entre elles).
 
  On peut dire logiquement que l’entre se situe entre deux limites, l’avant et l’après. 
  Ce qui me paraîtrait intéressant serait de chercher à identifier l’entre en imaginant qu’il n’existe ni limites ni frontières. (corrélation naturelle avec tout ce qui nous entoure, utopie sûrement)

 Cette notion d’entre est réelle et particulière à chaque individu dans son histoire personnelle. Dans le même temps l’entre existe  au niveau de la société toute entière, par rapport à son histoire socio-politique, culturelle. (universalité)
 

Patricia Proust-Labeyrie
9 Juin 1999


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